La Vérité sur La Vérité sur l'Affaire Harry Québert

Décorée par l'Académie Française, adulée par les uns, boudée par les autres, La Vérité sur l'Affaire Harry Québert divise les lecteurs et fait couler bien de l'encre !
Il est grand temps de dire toute la vérité sur La Vérité sur L'Affaire Harry Québert.



La Vérité sur Les Origines du Mal par Harry Québert par Mary Higgins Clark



Reine du polar, grande connaisseuse du genre du roman policier, Mary Higgins Clark, notamment réputée pour sa Nuit du Renard, nous fait par de sa réception de La Vérité sur l'Affaire Harry Québert en tant que polar dans son dernier livre, La Vérité sur Les Origines du Mal par Harry Québert (paru chez Dunod, Paris, 2015, trad. A. Damour).
Extrait de la partie 2, chapitre 5, "Un bon polar":
" C'est un bon roman policier, loin s'en faut ! Et ce jeune auteur suisse, Joël Dicker, est des plus prometteurs.Il sait entretenir le suspens ainsi que le font, n'est-ce pas, les séries télévisées qui fleurissent sur nos écrans. Il sait en adopter les codes et se les approprier afin de créer un beau roman. Il part d'une histoire éminemment simple - la disparition d'une jeune fille et la découverte une trentaine d'années plus tard de son cadavre décomposé dans le jardin d'un ex-écrivain à succès - et tisse une histoire beaucoup plus complexe pour perdre ses lecteurs et les mener où il souhaite les mener. Pour ce faire, il multiplie, comme dans les séries, les intrigues secondaires, livre des informations cruciales ou apparemment cruciales au compte-goutte, assez sadiquement dois-je dire, et pense chacun de ses chapitres comme un épisode de série. Un début accrocheur, une fin ouverte - puisque, et tout un chacun le sait, ce sont les deux grands moments d'une narration, ceux qui restent en mémoire - et un contenu qui tient presque du remplissage. Il y glisse soigneusement des indices, des fausses pistes. En guise d'indices, des objets mystérieux qui ne livrent pas tout de suite leurs secrets comme une boîte en fer-blanc frappée de l'inscription SOUVENIR DE ROCKLAND ou le manuscrit du livre d'Harry Québert mais présentant une dédicace anonyme. En guise de remplissage, naturellement, des tranches de vie de personnages hauts en couleur. Il y a de cette série LOST, pionnière du style, dans le récit du jeune Monsieur Dicker: des flash-backs (que les français nomment "retour en arrière") et des personnages mis en relief, tous importants, auxquels on va réellement s'attacher, s'identifier et qui permettront de dresser une longue liste de coupables: le pasteur bricoleur soumis à sa femme, la mère psychotique et violente, le jeune artiste défiguré, le vieil aristocrate juif dissimulant un terrible secret, une patronne de dinner caractérielle, sa fille coqueluche des garçons, son mari, homme simple et potiche, des policiers et un avocat véreux, un enquêteur râleur mais au grand coeur, la liste n'est pas exhaustive.
Tous ces personnages, le jeune auteur sait les mettre en valeur en employant un de mes procédés types, la réécriture de scènes avec différents angles d'attaque. Mais à rebours de votre servante, il en use harmonieusement, suivant une dose plus digeste - force m'est de le confesser, mais je travaille à affiner mon style - et justifie ces réécritures à la Raymond Queneau par le recoupement à divers instants des différents témoignages, le tout servant à merveille, presque diaboliquement, le fameux effet de compte-goutte du dévoilement des informations, des indices.
Cela dit, sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur, comme l'a dit un auteur français du XVIIIe siècle je crois, ayant fait ma propre critique en comparaison avec notre jeune talent, j'ai toutefois une réserve à exprimer. Cette réserve porte sur la révélation finale qui n'est pas singulière mais pluriellement singulière. J'entends que Monsieur Dicker s'amuse à une révélation en tiroirs qui étiole le plaisir de la découverte car on finit par se lasser, par penser qu'aucun des coupables invoqués ne sera le coupable définitif. On obtient finalement plusieurs coupables définitifs qui ne sont guère à la hauteur de tous ceux envisagés durant cette répétition invraisemblable de fausses résolutions.C'est un peu comme si Hercule Poirot, le héros bien connu d'Agatha Christie, en fin d'enquête réunissait tous les suspects pour les désigner les uns après les autres avant de désigner e véritable coupable. Il le fait, certes, mais de manière purement oratoire, en proie au désir d'une chasse du chat et de la souris qui émoustille le lecteur. Dans La Vérité sur l'Affaire Harry Québert, on trouve un coupable qui n'en est finalement pas un qui en couvre un autre qui en couvre lui-même un autre: ce sont des poupées russes ! Pour une histoire censée se produire en Amérique, dans le petit village perdu du Massachussets, c'est tout de même un comble !"


La Vérité sur l'Affaire Harry Québert est donc, dans l'ensemble un très bon polar qui, Mary Higgins Cark ne s'y est pas trompée, s'inspire grandement de la culture des séries américaines des années 2000-2010. Preuve en sont la série de Jean-Jacques Annaud prévue pour cette année et le passage de Joël Dicker sur le plateau de La Grande Librairie, qui répondait par l'affirmative à un François Busnel lui demandant s'il ne s'inspirait pas des séries américaines de ces années-là.
Si l'Académie a choisi de donner son prix du cru 2012 au roman de Joël Dicker, c'est sans doute parce que c'est un polar. Le roman policier est un genre vendeur, un genre qui déplace les foules et, par voie de conséquence, le parfait espace pour traiter de choses que le public peut trouver rébarbatives, pour vulgariser, sans donner l'impression de le faire. Didier Daennincx et Patrick Modiano, par exemple, ont souvent usé de cette stratégie afin de parler de l'Occupation et du régime de Vichy. Fred Vargas vulgarise ses connaissances et trouvailles archéologiques dans les aventures de Jean-Baptiste Adamsberg ou de Marc, Matthieu et Luc. Et Agatha Christie entreprend dans la résolution de ses intrigues une fine analyse des sentiments et comportements humains qui n'auraient pas déplu à un Balzac qui accroche ses lecteurs à l'aide récits encadrés, dignes prédécesseurs des romans policiers.
Aussi, faut-il voir derrière cette histoire de disparition et de meurtre plus qu'un whodunit mais une vraie satire sociale et une peinture acerbe et courageuse du monde de l'écriture et de l'édition.



La Vérité sur l'Affaire Tamara Quinn par Eric Zemmour



Avant tout, il y a l'arrière-plan.
Cela peut sembler paradoxal mais le décor dans lequel on plante un récit est très important même s'il reste discret, derrière.
Or, cette toile de fond, dans La Vérité sur l'Affaire Harry Québert, c'est la reconstitution d'un petit village américain des seventies. L'occasion de dépeindre cette époque, ses moeurs.
Eric Zemmour, grand critique littéraire devant l'Eternel, s'est fendu d'un court petit ouvrage d'une cinquantaine de pages, La Vérité sur l'Affaire Tamara Quinn (paru chez Albin Michel, Paris,2014), dont voici un passage susceptible d'intéresser et de nourrir cette critique:
"Dire que l'Amérique décrite par Joël Dicker dans son estimable petit pavé soit une reconstitution exacte de l'Amérique des années 70 n'est pas vrai. Affirmer que les moeurs mis en scène tiennent d'autre chose que d'un parti pris anti-conservateur, c'est tout aussi faux. Tout au moins, pouvons-nous nous borner à dire que la pâle ekphrasis de ce petit village aux maisons typiquement américaine, de ces dinners rouges et toujours propres dignes des vieux films et ce petit lac de pêcheurs participent de la couleur locale et du pittoresque que l'auteur suisse a voulu prêter à l'écran vert de son imagination. Gageons que, si cette représentation de l'Amérique a su parler au fantasme et/ou à la nostalgie d'aucuns, elle tient du génie de l'effet de réalisme. C'est donc un franc succès, que j'attribuerai plus volontiers, pour ce qui me concerne, au charme de cette propriété de Goose Cove et à l'envie du lecteur de s'y trouver.
Concernant les moeurs, il est une fois de plus évident que la reconstitution suit une mode qui veut diaboliser les temps anciens. Bien-sûr, on retrouve les dures punitions corporelles motivées par des croyances obscurantistes. Croyances d'ailleurs d'autant plus délétères, faut-il croire, puisqu'elle traitent les troubles psychiques comme la manifestation du démon qu'on ne peut combattre qu'au moyen d'un exorcisme qui cause plus de maux qu'il n'en soigne. On trouve aussi évidemment le thème chouchou du rejet de l'homosexualité, certes rigoureusement exact mais gênant puisque mis sur un pied d'égalité avec la pédophilie (n'est pas Charles Aznavour qui veut). Le traitement du thème de l'homosexualité occasionne le témoignage d'un narrateur harcelé par sa mère qui s'inquiète de son orientation sexuelle, laissant entendre que le rejet de l'homosexualité des années 70 est toujours aussi puissant et manifeste au jour d'aujourd'hui. De surcroît, l'amour d'un homme de trente ans et d'une fille de quinze ans semble plus envisageable à l'auteur qui le défend avec plus de conviction que l'homosexualité.
Néanmoins, il est dans ce livre une satire sociale plus intemporelle qui transcende la reconstitution, celle du heurt des classes sociales, des masques de l'ambition, des drames du commérage et de la condescendance. Digne d'une scène de La Recherche du Temps perdu, une scène retient toute mon attention. Il s'agit d'une garden party organisée par Tamara Quinn, la patronne du dinner, regroupant la totalité des sommités d'Aurora et destinée à annoncer le mariage de Jenny, sa fille et serveuse, avec le grand Harry Québert, écrivain à succès. Joël Dicker croque l'attente, l'impatience, l'exaspération, la curiosité malsaine, en connivence totale avec son lecteur pour se moquer des personnages, avant de contraindre Tamara Quinn, prise au piège de l'absence d'Harry Québert, d'inventer une grande nouvelle imaginaire valant celle prévue et d'annoncer à court d'inspiration le cancer fictif de son mari qui, humble et simple, se met à y croire.
Joël Dicker est, à n'en pas douter, meilleur moraliste que restaurateur: il croque bien les hommes mais mal les époques anciennes, qu'il stéréotype."



La Vérité sur l'Affaire Roy Barnaski par Eliott Carver



Le récit policier de Joël Dicker est surtout le cadre d'un état des lieux du monde de l'édition, du journalisme et du métier d'écrivain.
C'est ce qu'explique Eliott Carver, magnat de la presse internationale dans son ouvrage complément au Tomorrow littéraire, intitulé La Vérité sur l'Affaire Roy Barnaski, du nom de l'éditeur du narrateur dans le roman de Joël Dicker ( un très beau libre paru chez Rowohlt Taschenbuch Verlag, Reinbeck, 2012, traduction de Bernard Lortholary).
Voici un florilège de plusieurs extraits significatifs de ce livre qui devrait déjà être entre toutes les mains:
"Le sujet, peu abordé, mérite que l'on s'y attarde.
L'écrivain n'est pas le même selon les siècles. De chantre d'un membre de la noblesse qui le protège à travailleur reconnu par la sécurité sociale, il n'a cessé de se métamorphoser socialement. Il fallut attendre des Gide pour que le sujet légèrement traité comme sujet d'ouverture d'un écrit devienne un sujet central. (...) La Vérité sur l'Affaire Harry Québert fait partie de ces oeuvres modernes qui met en scène le quotidien de l'écrivain. Joël Dicker ne nous le fait plus envisager uniquement comme artiste étrange en quête de l'Oeuvre parfaite mais en professionnel en burn-out, que son patron menace de procès en cas de résultats pas assez rapides, qu'on épuise pour des questions de rendements quantitatifs comme on épuise les ressources agricoles. La roue de la fortune dans laquelle l'écrivain se trouve ballotté, cette ivresse de la métamorphoses et la gueule de bois qui s'ensuit, le passage de la gloire et la lumière à l'anonymat et la misère de l'esclave rebelle qui désire se libérer de ses fers, rien ne nous est celé". (p.26)


"Le livre lui-même n'est plus le même. Objet de consommation et de communication, il est l'enjeu d'un placement publicitaire à concevoir en fonction de l'audiométrie et de l'actualité politique. Ainsi, dans le roman de Joël Dicker se surprend-on à lire des passages du livre dans le livre, présenté comme un flou définitionnel, une chimère mi-fiction mi-documentaire journalistique. Et cet étrange monstre devient un succès de librairie mais aussi une grande oeuvre littéraire. Que faire quand on est auteur pour créer un bon roman lorsqu'un tel arbitraire seul permet la réussite ou le four ? Qu'est-ce qu'une oeuvre dans un monde littéraire si fou ? Peut-être là la raison de l'absence de réponse d'Harry Québert et de Marcus Goldman à nous donner, nous pauvres lecteurs, complètement perdus !" (p.38)


" Tour de force du jeune auteur, une critique au vitriol des attentes et des stratégies des éditeurs. Loin de la timide satire d'un éditeur qui célèbre une belle infidèle chinoise plus que rentable d'un roman français raté dans l'Elle & Lui de Marc Lévy ou l'allusion railleuse de l'éditeur de Robert Langdon suggérant un 50 nuances de symboles dans l'Inferno de Dan Brown, le récit de Joël Dicker condamne l'opportunisme d'un éditeur qui crée ses propres fuites dans la presse, qui fait écrire des livres mauvais par des nuées d'auteurs fantômes, qui se désintéresse complètement du contenu de ses liasses de papier à condition qu'elles fassent faire du chiffre, qui joue des procès intentés contre lui ou ses auteurs pour faire la promotion de sa maison d'édition et de ses auteurs. Roy Barnaski incarne cette facette de l'éditeur et du monde de l'édition que l'on connaît peu. La charge contre ce monde du virtuel et du publicitaire court sur tout le récit et trouve son point d'orgue dans un chapitre qui lui semble consacré, intitulé Le Principe Barnaski. Sombre sans doute, satirique assurément, ce portrait de l'éditeur et ce paysage de l'édition qu'a su faire Joël Dicker, non sans courage, est l'un des points forts de l'ouvrage." (p.115)



La Vérité sur Le Paradis des écrivains par Harry Québert par l'Académie Française



La Vérité sur l'Affaire Harry Québert ne se résume pourtant pas à un polar efficace traitant des moeurs et du monde de l'écriture et de l'édition. Le vrai thème abordé est par plus profond et c'est ce thème qui, sans aucun doute, a su plaire à l'Académie Française.
Joël Dicker livre un art poétique et une démonstration de cet art dans le même temps et déclare sa flamme à l'écriture et la lecture. A l'image de mort - due au figement qu'impose ordinairement ce genre de posture, il oppose une image de vie. Plus encore, il fait un lien entre écrire et aimer et c'est cette défense d'une posture jugée trop morbide dans notre course folle quotidienne qui lui vaut les faveurs des Immortels.


Ces derniers l'expriment d'ailleurs dans ce magnifique ouvrage collectif dirigé par Edmond Rostand et Nicolas Boileau-Despréaux de l'Académie Française qui avait pour titre La Vérité sur l'Affaire Marcus Goldman (paru aux Puf, Paris, 2018) pour être finalement réédité sous le titre La Vérité sur Le Paradis des écrivains par Harry Québert:
"C'est un double art poétique que nous offre monsieur Dicker Joël, dont la nomination au 41e fauteuil sera à l'étude dès que nous aurons fini l'examen du projet de reconnaissance de l'écriture inclusive actuellement en voie de rejet. Non seulement l'un des personnages - non des moindres, s'il en est, le personnage éponyme - propose par étapes plusieurs conseils d'écriture mais encore son auteur se livre à tout un numéro d'acrobaties poétiques et créatives liées aux recommandations du personnage qui, en plus de forcer le respect, fait montre d'un réel talent de constitution d'un ouvrage littéraire.
Aussi jugeons-nous intéressant d'illustrer cette observation de quelques exemples. Tandis que Monsieur Dicker nous accroche à son récit, suivant le modèle de ce que les cinéastes américain nomment le "hook", il se met en scène en train de le faire. Ou pour dire mieux et plus exactement, il fait remarquer qu'il accomplit sur nous lecteurs cette opération, accompagnant la tâche d'un épigraphe de début de chapitre qui nous invite à y être attentif: "Le premier chapitre, Marcus, est essentiel. Si les lecteurs ne l'aiment pas, il ne liront pas le reste de votre livre". Ce sont là réellement des conseils et des encouragements à tout jeune auteur qui voudrait se lancer dans l'écriture, qui touchent toutes les parties du livre au moment opportun, c'est à dire au moment où le faiseur de conseils s'attelle lui-même à l'exercice qu'il est en train de décrire. Il évoque dans ces épigraphes initiaux le découragement et a manière de le chasser, les astuces phatiques pour conserver le lecteur, les bouleversements de situation qui doivent faire s'avancer ou se clore le récit. Le tout s'avérant être les extraits d'enregistrements sonores d'Harry Québert à Marus Goldman de ce que l'on peut définir comme un guide d'écriture. (...)
On objectera nécessairement un désaccord de philosophie de la lecture et de l'écriture face à cet art poétique, lorsque l'on a coutume de lire et d'écrire et que l'on ne conçoit pas la chose à la manière d'Harry Québert. Et, si l'on s'adonne à le faire, l'on trouvera justification de notre désaccord en apprenant le terrible secret d'Harry Québert en fin d'ouvrage. Auteur publié ou non, l'on ressentira cette ultime révélation comme somme toute prévisible et pourtant bien amenée." (p.18-24)


"Il est d'autre part étrange que le dernier épigraphe qualifie un bon livre comme un livre "qu"on regrette d'avoir terminé" car, comme chacun le sait, on n'a jamais cessé de lire un livre. Le livre est un cycle que rien jamais n'achève. Aussi, il est étonnant de la part d'un auteur qui fait dire à son personnage auteur que l'on a jamais fini d'écrire un livre de prétendre à une fin du livre et de sa lecture. (...)
Car Joël Dicker semble s'y connaître en matière de composition d'ouvrage littéraire puisqu'il fait lui-même preuve d'un certain jeu littéraire. Ces chapitres numérotés à rebours, ces livres dans le livre, ces insertions de retranscriptions d'enregistrements, ce jeu de jongleur avec les différents témoignages et leurs interstices qui prêtent à confusion et, partant, à péripéties et à bouleversements de situation, ces faits rapportés froidement ou déformés à la façon des journalistes puis de façon très humaines, ces aller-retour entre les années 200 et les années 70 comme autant de voyages dans le temps, ne sont-ce pas là les preuves irréfutables d'un certain panache, d'un indéniable brio ? Tout semble réel, les dates, les lieux, les heures, les minutes, les secondes, les coupures de presse, les petits mots secrets échangés entre les personnages, tant tout cela est imbriqué à l'intérieur du texte comme des preuves à conviction dans le dossier d'une affaire juridique qu'aurait rédigé un auteur perdu dans les couloirs de la Loi. (...)
Alors, certes, Monsieur Dicker construit mieux qu'il ne rédige et son style, toujours sympathique, peut paraître plat. Il perdra à être mis en analogie avec notre très estimé Jean d'Ormesson mais il gagnera à être comparé à Monsieur Chattam. Son style peut-être trop simple et pas assez recherché pour qui traite justement d'écriture n'est pas celui d'un penseur de phrase. Qu'importe si l'on le lit avec plaisir ? Son seul défaut sera de se poser en maître à écrire sans avoir d'éclats à proposer sur ce chapitre. (...) Joël Dicker, c'est au fond un peu Harry Québert, il encourage à écrire de façon extraordinaire et écrit de façon ordinaire. En cela, il suit aveuglément l'un précepte de son personnage: "Les mots, c'est bien, Marcus. Mais n'écrivez pas pour qu'on vous lise: écrivez pour être entendu". La simplicité, la platitude de son style semble voulues pour interagir avec un lecteur peu à même de comprendre un style plus hermétique ou peu amateur de style autre qu'attique." (p.62-64)


"Ce qu'il y a de passionnant dans La Vérité sur l'Affaire Harry Québert, finalement, c'est le combat pour l'écriture, cette volonté de pousser tout un chacun à devenir écrivain. Dans un monde où l'on privilégie les occupations où l'on ne prend guère le temps de se poser un peu et réfléchir, écrire est l'occupation du mort, du malade ou bien du paresseux. Or, Joël Dicker fait voler en morceaux ce stéréotype moderne abscons en assimilant l'écriture à des occupations jugées plus vivantes, comme pour en traduire le réel sens. (...)
L'écriture alors, cela devient la boxe, le footing matinal: "Je vous disais qu'écrire, c'est comme boxer, mais c'est aussi comme courir. C'est pour ça que je vous envoie battre le pavé: si vous avez la force morale d'accomplir les longues courses, sous la pluie, dans le froid, si vous avez la force de continuer jusqu'au bout, d'y mettre toutes vos forces, tout votre coeur, et d'arriver à votre but, alors vous serez capable d'écrire." ; "Vous devez préparer vos textes comme on prépare un match de boxe, Marcus: les jours qui précèdent le combat, il convient de ne s'entraîner qu'à soixante-dix pour cent de son maximum, pour laisser bouillonner et monter en soi cette rage qu'on ne laissera exploser que le soir du match". Ecrire devient une force à travailler, à exercer; l'écriture s'assimile à une sorte de bodybuilding très sportif et très vivant. De quoi enthousiasmer tous ceux que le poncif de l'écrivain immobile rebute. Soyez Apollinaire, semble nous dire Dicker, promenez-vous, écrivez en marchant. Tout le monde n'est pas obligé d'écrire couché sur son lit comme Eliette Abécassis ! (...)
La Vérité sur l'Affaire Harry Québert, ce n'est pas réellement l'histoire d'un meurtre ou d'une histoire d'amour pédophile. C'est une histoire d'écrivains, qui s'achève justement sur le paradis des écrivains. Tout tourne autour des deux héros écrivain. L'enquête et la résolution de l'enquête. Cette résolution inspirée du Cyrano De Bergerac de notre confrère du 31e fauteuil. Harry pourrait s'appeler Tristan et Luther pourrait se nommer Cyrano. Et le lecteur fermera le livre s'exclamant: "C'est trop fort ! Voilà comme les hommes sont ! Il n'aura pas d'esprit puisqu'il est beau garçon !" C'est donc en récit d'amour néo-romantique que s'achève le récit de Joël Dicker. L'homme de plume prête ses mots à l'homme qui en est dépourvu (qui n'a que les trois qui forment le mot sot) pour permettre l'amour. L'écriture favorise l'amour, l'écriture naît de l'amour, l'écriture est amour. Et qu'est-ce qui vaut mieux qu'aimer dans l'existence ?" (p.88-90)



La véritable conclusion de La Vérité sur La Vérité sur l'Affaire Harry Québert



Pour conclure cet article déjà bien trop long, je dirai que La Vérité sur l'Affaire Harry Québert est un très bon livre, un pavé très agréable à lire qui se permet un détour du côté de la satire des moeurs, du monde de l'édition, du journalisme, de la vie d'écrivain et trouve toute sa profondeur, sa quintessence dans un admirable plaidoyer vulgarisateur de ce qu'est l'écriture. Une démarche salutaire.
Et, au regard des dernières constations, je résumerai l'oeuvre entière par cette belle réplique de La Vérité sur l'Affaire Nolla Kellergan par Luther Caleb: "Un baiver, mais à tout prendre qu'effe ? Un point rove qu'on met sur l'i du ferbe aimer".

Frenhofer
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le 12 juin 2018

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