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La Vérité sur l'affaire Harry Quebert par Anormalienne

Ce roman a reçu le Grand Prix de l’Académie française, il a donc un peu la grosse tête pour un roman sur une affaire de meutre dans une ville paumée des US. C’est l’histoire d’un écrivain chiant (on imagine difficilement qu’il ne soit pas le miroir de son auteur), qui a connu un grand premier succès littéraire et n’arrive pas à écrire son deuxième bouquin. Bon, jusque là rien de fou. Il va voir son maître à penser et ancien prof de fac, dans le bled paumé des USA où il a une maison en bord de mer, espérant ainsi retrouver l’inspiration. Il découvre, chez ce professeur qui est aussi un écrivain très connu, une boîte avec une coupure de presse sur la disparition d’une fille de 15 ans dans les années 70, une fille nommée Nola.

Dans cette boîte se trouve aussi un mot adressé au professeur, Québert, indiquant qu’elle le retrouvera au motel et signé de sa main. Le jeune écrivain choisit d’ignorer cette information (lol c’est quand même suspect) et quelques mois plus tard, au hasard d’une plantation de fleurs sur le terrain de Québert, on retrouve le corps de Nola, morte à 15 ans, enterrée avec le manuscrit originel du livre qui a rendu Québert célèbre. C’est donc une enquête policière menée par un écrivain pour blanchir le nom de son ami et maître, alors même que celui-ci reconnaît parfaitement avoir eu une relation “amoureuse” avec une fille de 15 ans lorsqu’il en avait…près de 40. Le bouquin est un pavé donc difficile de faire court, mais quelques points très gênant : les gens de la ville condamnent Québert, disent que c’est un pédophile, mais l’écrivain qui nous suivons, lui, ne le condamne jamais explicitement. Il semble penser qu’il est tout à fait possible d’avoir une relation d’amour profond et sincère avec une gamine de 15 ans lorsqu’on en a 37 ou 38. Il est choqué, étonné, un peu réprobateur, mais ne condamne pas. Or, sans condamnation explicite de l’écrivain qui est notre narrateur et le miroir de l’auteur du livre que nous lisons, il devient de plus en plus acceptable, au fil de la lecture, que cette relation ait bien été une épanouissante, passionnée et belle relation amoureuse. L’âge, la dynamique de pouvoir entre les deux, la jeunesse et la naïveté de Nola sont pourtant des facteurs soulignés. On est forcément du côté de notre narrateur, on veut donc défendre Québert et blanchir son nom, alors même que la relation est incroyablement condamnable, y compris du point de vue légal. L’histoire est bien ficelée, le suspens est présent, c’est facile à lire, ça monte en mystère et en intensité, mais il m’a été très difficile d’ignorer ce manque de condamnation morale réelle. Les seuls personnages qui condamnent Québert directement pour cette relation sont ceux qu’on aime le moins, ceux qui sont le plus ridicules, présentés comme haineux et vains. C’est un parti pris de l’auteur qui à mes yeux est très grave. Un chapitre est même intitulé “Peut-on aimer une fille de 15 ans?”, alors que peut-on même se poser la question? Ce roman est ambivalent, il n’encourage pas la relation, elle est souvent condamnée, elle entraîne l’incompréhension et la perplexité, Québert est parfois un personnage qu’on en vient à très sérieusement remettre en question, et donc cette relation n’est pas suffisante pour fermer le livre et le jeter à la poubelle. Mais il manque de clarté autour de l’accusation.

Autre problème moins grave, l’écrivain. L’écrivain est insupportable d’orgueil, on nous révèle que ce sont ses failles qui ont créé ce caractère, un manque de confiance originel, mais tout de même, on a parfois bien envie de lui tarter la gueule. Parfois, ça sonne aussi très faux, je vous fais une reconstitution :

“Bonjour, je suis Marcus Goldman, un écrivain de New-York maxi stylé et je viens pour poser des questions sur Harry Québert.

Le chef de la police me regarda perplexe, écrasant méchamment son mégot de cigarette.

-Et qu’est-ce que ça peut me faire, l’écrivain? Ce ne sont pas vos affaires, rentrez chez vous. Y en a qui travaillent ici!

-Mais justement, sergent, vous ne comprenez pas! Il est essentiel que je sache comment se passe l’affaire, je crois qu’Harry est innocent!

-Vous commencez à me courir l’écrivain. Rentrez chez vous!"

Je quittai le bureau désemparé par ce nouveau revers. Alors que je m’apprêtais à rentrer dans ma voiture, j’entendis une voix derrière moi.

"Eh! Eh! L’écrivain! Attendez!"

Le sergent était essoufflé.

"Bon…si vous voulez vraiment savoir, je vais interroger TrucMuche demain à la première heure. C’est un suspect de premier plan qui pourrait avoir un lien avec la mort de Nola. Retrouvez-moi demain à 9 heures devant Endroit Random. Venez demain ou ne m’embêtez plus avec vos histoires!”

En fait le souci c’est qu’un écrivain devrait avoir plus de mal que ça à s’incruster dans une affaire criminelle et à se faire pote avec la police. Mais là, la résistance du sergent n’est qu’un outil scénaristique faible. Son personnage n’a aucune profondeur : il est là pour être un peu bougon, faire semblant que la présence d’Harry le dérange mais l’accepter en moins de 10 lignes à chaque fois. C’est un peu bancal. Enfin, dernier truc qui m’a saoulé au possible, l’incohérence de la parole des personnages dans les dialogues. Exemple : la mère de Marcus semble être de classe moyenne plutôt basse, par ailleurs on nous la présente comme un peu stupide, homophobe, elle ne se soucie que du fait que son fils trouve une meuf. Sauf que d'un coup, elle vous sort une phrase genre : “Marcus, mon petit chéri, tu sais à quel point je tiens à toi! Une vie dans la solitude n’est pas une vie. Il est temps de t’épanouir et de trouver une compagne”. Et puis 5 lignes après elle ne va pas utiliser de double négation pour s’exprimer, ses expressions sont plus populaires et simples. Beaucoup de personnages sont comme ça, incohérents dans leur expression. Ca ne veut pas dire qu’une personne de classe sociale basse et qui semble avoir fait peu d'études ne peut parler de manière soutenue ou inversement. Ca veut juste dire qu’il faut un minimum de cohérence entre ce que l’auteur nous dit du personnage et la manière dont il s’exprime. Et ça, ça manque souvent. Sinon c’est quand même un roman sympa, il a fait une fac aux U.S où il a pris une majeure genre “écriture d’invention”, c’était un mec un peu chiant persuadé de son talent et orgueilleux, mais avec qui s’est quand même sympa de traîner et qui a des trucs cool à raconter.


Anormalienne
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le 13 juin 2022

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