Ella Maillart est née à Genève en 1903. A partir de 1913, sa famille s'installe au bord du lac Léman. Attirée par le sport et le dépassement du soi, elle s’initie aux activités nautiques et au ski avec son amie Miette. A 16 ans, elle fonde le premier club de hockey sur terre féminin. Elle participe également à plusieurs championnats mondiaux de ski alpin avec l'équipe suisse. Puis, en 1930, elle part à Moscou. Elle est attirée par le cinéma russe. Ce voyage est raconté dans son premier livre, Parmi la jeunesse russe.
"Je sais d’expérience, que courir le monde ne sert qu'à tuer le temps. On revient aussi insatisfait qu'on est parti. Il faut faire
quelque chose de plus."
Suite à ce voyage elle enchaîne les expéditions. Elle entreprend notamment en février 1935, avec Peter Fleming, un périple de sept mois reliant Pékin à Srinagar. Elle le raconte dans Oasis interdites et Peter Fleming dans Courriers de Tartarie (deux livres que j'aimerais, un jour, lire en parallèle...). En 1939 elle entreprend un voyage en Ford jusqu'à Kaboul avec son amie Annemarie Schwarzenbach et c'est ce voyage qu'elle raconte dans La voie cruelle.
Toutes deux sont des voyageuses aguerries mais sont très différentes. Ella est robuste et plein d'assurance alors que Annemarie (appelée Christina dans le livre) est une femme blessée et qui lutte contre un addiction à la drogue. Ella espère aider son amie à vaincre ses démons à travers ce voyages.
Elle décrit les paysages et les coutumes des habitants mais aussi l'histoire des régions traversées. Elle porte aussi une réflexion sur le voyage et la quête de soi, alors que l'Europe s’apprête à entrer en guerre. L'ombre du drame qui se profile plane sur leur voyage.
"C'est à cause de leur ciel que les déserts sont si émouvant ; ce ciel vaste et entier, la plus grande quantité d'espace que nous
puissions voir d'un coup."
Elles traversent des paysages et des monuments chargés d'histoire. La longue description des Boudha de Bamyan est très émouvante quand on connait le destin tragiques de ses monumentales statues détruites par les extrémistes. Elle décrit avec précision la diversité des paysages et les légendes qui habitent ces lieux.
Elles ne semblent pas souffrir d'être deux femmes seules en voyage mais, à plusieurs reprises, elles sentent les regards intrigués des hommes. Elles traversent des contrées où les hommes ne voient jamais de femmes seules ou de femmes aux bras et jambes nus. Elle sont conscientes que leur indépendance surprend, voire choque, dans un pays où les femmes sont invisibles. Mais cela ne les freine en rien. Elles avancent avec détermination vers leur but, Kaboul, en évitant les obstacles administratifs et légaux qui se posent sur leur route.
"Toutes deux nous avions voulu rester libres afin de mieux remplir
en temps voulu une obligation dont la nature nous était encore cachée.
On pourrait appeler cela de l’égoïsme, mais je commençais à voir que
notre soumission totale ne pouvait s'offrir qu'à un absolu devant
lequel nous ne comptions pas."
C'est aussi un formidable récit d'amitié fait de hauts et de bas. Ella croit fermement pouvoir détourner son amie de la drogue. Mais c'est un échec. Quand elles arrivent à Kaboul la guerre est déclarée en Europe et Annemarie sombre à nouveau. Ella doit accepter son incapacité à l'aider et la quitte pour se rendre en Inde où elle restera jusqu'à la fin de la guerre. Annemarie retourne en Europe dans le but de lutter contre Hitler. Elles ne se reverront qu'une fois mais échangeront de nombreuses lettres. On sent cependant entre elles une profonde amitié, un grand respect mutuel. Libres et indépendantes, malgré leurs divergences elles s'admirent mutuellement. Annemarie a également fait le récit de ce périple dans Où est la terre des promesses ?
Le récit de ce voyage contient énormément de sujets de réflexions sur le progrès, la nécessité ou non du voyage et la liberté. A aucun moment les aspirations ou les désirs des deux femmes ne sont contraints à cause de leur sexe. Elles ne portent pas leur genre comme un fardeau et considèrent comme une chose acquise qu'elles sont les seules maitresses de leurs choix et de leur vie. C'est en cela que ce récit est inspirant. Ce n'est pas un manifeste, c'est juste le voyage de deux femmes intensément libres. Ella Maillart n'a rien à envier à Nicolas Bouvier ( qui fut un des ses amis d’ailleurs) ou à un autre aventurier.
Il y a tant de chose à dire et à découvrir sur Ella Maillart, notamment son travail de photographe qui est sublime. Une chose est sûre, je repartirai en voyage avec elle très prochainement. C'est une de ces femmes dont l'audace et l’intelligence pousse à agir, une femme qui par sa vie nous invite à accomplir nos projets.
Je vous laisse avec la bande annonce de ce superbe film qui ma fait découvrir cette femme forte et inspirante qu'est Ella Maillart et sur les derniers mots de son livre :
"Puissent ces pages m'aider à me rappeler que c'est seulement en exigeant tout que nous pouvons espérer obtenir ce sans quoi,
disions-nous, la vie ne vaut pas d'être vécue."