Dur de noter ce livre. Il y a de très grands moments de lucidité là dedans et des pages pleines d'intelligence. Dans l'ensemble, le propos politique est pertinent : cette neo-dictature molle dont le peuple est lui-même acteur est à lire comme un futur de plus en plus proche. Une sorte de Big Brother pernicieux, dilué et presque invisible mais omniprésent en chacun de nous. C'est le point fort du livre. Damasio est excellent quand il s'agit de décrire les mécanismes de sa société. Là où il l'est moins par contre, c'est dans la description de sa "Volte". Les personnages que l'on suit, rebelles anarchistes, se battent pour changer leur société et développent souvent contre elle, dans une langue lyrico-politique, de longs discours enflammés. C'est précisément là que Damasio m'embête. Il ne sait pas doser son roman. D'une part, on ne comprendra jamais vraiment ce que veut la Volte, sinon la liberté ou une sorte d'anarchisme bêtement utopique. D'autre part, Damasio n'a de cesse de gonfler ses pages d'un lyrisme qui lui appartient : entre jeux de mot, jonglage littéraire et ferveur gauchiste (poing levé) qui, s'il apparaissait de temps en temps contribuerait à donner un souffle épique aux scènes, mais qui, égrainé ainsi sur 600 pages, finit par devenir lassant et dessert le propos. Il y a un moment où je me suis dis : « C'est bon mec, stop ! Je sais que tu aimes faire des pirouettes langagières et des jeux-de-mots a tire-larigot, mais trop c'est trop. »


Alors, déjà, les jeux de mots et jeux de langue, ça ne me touche pas spécialement. Je m'en fous royalement à vrai dire, donc d'un point de vue purement stylistique, Damasio m'en touche une sans remuer l'autre, mais à répétition, je finis par ne plus voir que ça et ça finit par m’agacer. Pour moi la forme est déséquilibrée, même si beaucoup y trouvent leur compte. La plupart attribuant une grande part du talent de Damasio à sa patte lyrique. Moi je pense que quelques tirades en moins et quelques chapitres écourtés n'auraient pas nui au livre.


Enfin, le dernier des défauts, probablement celui qui m'a décidé à passer de 9 à 7. C’est cette tendance qu’a Damasio à tout expliquer, à trop expliquer. Par le biais de son personnage Capt, il nous expose les caractéristiques de la société de Cerclon mais s’attarde également à la décortiquer et à expliquer son essence de nombreuse fois dans le roman. Vous vous souvenez du passage du livre de Goldstein dans 1984 d’Orwell ? Il avait d’efficace sa concision et sa brutalité. Une sorte d’essai intra-romanesque qui nous permettait de comprendre les tenants et les aboutissants de la société de Big Brother. Et bien chez Damasio, c’est comme si ce passage revenait régulièrement, trop souvent, à propos de chaque nouvel élément, perdant ainsi l’efficacité de la parcimonie. Même si, comme je l’ai dit plus haut, Damasio sait parler de sa société, il le fait trop souvent, et c’est bien le problème.


Cette tendance à trop dire doit être sûrement le propre de Damasio, ce qui plait tant à ses fans. C’est un passionné rhétorique. Moi, adepte du behaviorisme, je dois avouer que cela m’ennuie. Trop de discours tue l’effet. Je préfère les auteurs qui disent beaucoup avec moins de mot. Par ailleurs, on sent que Damasio aime parler, et même qu'il aime s'écouter parler, qu'il aime se lire également et qu'il est fier des tirades lyriques qu'il couche sur le papier.


Mais parce que je ne voudrais pas finir cette critique sur des reproches, je vais vous dire ce qui fonctionne réellement dans ce livre. L’aventure est palpitante, les personnages intensément humains, plein de doutes et loin d’être des héros car habités par des tourments intérieurs. Et pourtant, paradoxalement, ce sont aussi de vrais archétypes, et c’est là ce que j’ai préféré.


Ils ont beau être des activistes politiques, ils sont avant tout des figures mythiques. L’histoire de Capt et de sa bande de pote (le Bosquet) est celle du Christ. Capt est un homme transporté par un idéal, il réunit les gens par la parole, se fait trahir par l’un des siens, est condamné à mort puis ressuscité, et mène les siens vers son royaume : la zone du dehors.


Au delà du style fatiguant et pas si ingénieux que ça de Damasio, on retrouve le caractère épique d’une histoire vieille de 2000 ans. Comme quoi la SF peut se targuer d’être innovante, elle puise, comme les autres genres, dans les mythes fondateurs.

-Alive-
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Sur mes étagères il y a... et Mes Lectures 2016

Créée

le 14 déc. 2016

Critique lue 1.1K fois

12 j'aime

8 commentaires

-Alive-

Écrit par

Critique lue 1.1K fois

12
8

D'autres avis sur La Zone du dehors

La Zone du dehors
C4stor
9

Politiquement savoureux

Lorsqu'on s'inscrit en héritier d'œuvres comme Le Meilleur des Mondes et 1984, il faut pouvoir assumer. Alors placer l'action en l'an ...2084, c'est plutôt gonflé. (On pourrait aussi citer un...

le 20 juin 2010

46 j'aime

4

La Zone du dehors
MarlBourreau
8

Le meilleur des mondes.

Orwell est mort, vive Orwell ! Voilà comment j'aurais pu intituler ce billet tant Alain Damasio rend un vibrant hommage au chef d'oeuvre intemporel de la dystopie qu'est 1984. Et je n'avance pas cela...

le 22 janv. 2017

19 j'aime

La Zone du dehors
Liam
8

Critique de La Zone du dehors par Liam

Une fois de plus - la première fois, en fait -, l'univers créé par Alain Damasio est criant de vérité, tellement vivant qu'il envahit le salon où on le découvre et renverse les cadres et les...

Par

le 17 août 2010

19 j'aime

Du même critique

La Vérité sur l'affaire Harry Quebert
-Alive-
4

Magnifique couverture d'Edward Hopper

Prix de l’Académie Française quoi ! Les mecs vous êtes trop vieux, faut arrêter. Ce prix c’est pas rien, ça veut dire : « on veut que ce soit cette littérature qui fasse école », c’est le prestige...

le 19 août 2016

126 j'aime

29

Le Petit journal
-Alive-
1

Cracher sur tout ce qui n'est pas Nous

Crache sur les religieux, crache sur les vieux, crache sur les provinciaux, crache sur Arte, crache sur le service public, crache sur la politique, crache sur la mode, crache sur les geeks, crache...

le 10 nov. 2014

124 j'aime

24

The Wall
-Alive-
10

Un spectacle

On ne peut forcer personne à aimer une oeuvre. C'est inutile et agaçant, et puis chacun sait qu'en vérité nos coups de cœur tiennent plus souvent de la surprise que d'une écoute forcée et assidue...

le 25 juil. 2014

92 j'aime

14