L’historien et homme de radio Philippe Collin publie son premier roman : une plongée dans une sorte de miniature de la France occupée, le bar du Ritz, quand pendant la seconde guerre mondiale s’y côtoient les officiers de la Wehrmacht et, dans une ambivalence teintée de toutes les nuances collaborationnistes n’excluant pas quelques actes secrets de Résistance, une clientèle d’habitués, Guitry, Chanel ou Cocteau, mêlée d’une faune hétéroclite, anciens hauts fonctionnaires, « comtesses » et voyous de tout poil, appliqués à jouer les caméléons pour rester dans l’orbite des puissants du moment. Tout cela sous les yeux d’un personnel partagé entre scrupules, peurs et confort de l’emploi, comme celui que l’on dit alors le meilleur barman au monde.
Juif ashkénaze vétéran de Verdun, Franck Meier est devenu, après un passage par les Etats-Unis, le célébrissime prince parisien des cocktails et, par la même occasion, le confident des grands de ce monde, parmi lesquels Hemingway et Fitzgerald. S’inspirant des nombreux éléments biographiques laissés par cet homme qui fut largement interviewé, qui fit l’objet de deux enquêtes de police pendant la guerre et qui publia un livre, « L’Art du cocktail » – réédité à la faveur du coup de projecteur occasionné par ce roman –, Philippe Collin en fait son personnage central, observateur privilégié lui-même aux prises avec toutes les ambiguïtés de son époque.
« Me voilà coincé dans le nid des Boches. » C’est en lui prêtant ces mots que l’auteur commence sa restitution romanesque. La narration va le voir louvoyer pendant toute l’Occupation, accumulant d’un côté les arrangements compromettants pour mieux cacher ses origines juives et pour ne pas perdre son emploi, s’engageant de l’autre, et presque malgré lui, dans quelques actions plus secrètes en soutien à des amis juifs ou résistants. De la confiance initiale de l’ancien poilu envers Pétain à la prise de conscience progressive des réalités terribles de cette « guerre qui s’appelle maintenant paix » et qui le ballotte « entre deux mondes qui coexistent et ne se croisent jamais : le monde du dedans, celui du Ritz, avec son faste, son confort et ses carnassiers, et le monde du dehors, celui de la faim, du froid et de l’humiliation », notre homme va, comme tant d’autres et non sans débats intérieurs, passer par toutes les nuances de gris d’une compromission la plus raisonnée possible, oscillant constamment entre courage et résignation. Mais qui peut-dire ce qu’il aurait fait à sa place ?
Documenté, habile à recréer l’atmosphère nauséabonde de cette période, Philippe Collin nous sert une vision troublante, loin du simple contraste entre le noir et le blanc, de certains comportements pendant l’Occupation, qu’il s’agisse parfois d’officiers allemands, capables d’instants d’humanité tout en exécutant par ailleurs des actes impensables, ou de Français ordinaires, dépourvus du courage sans mélange des Résistants de la première heure et ne sachant sincèrement plus quel parti prendre pour sauver leur peau ou celles des leurs. Dommage que le récit, dans l'intention sans doute de plaire au plus large public, s’autorise pour sa part quelques compromissions avec la facilité, comme son improbable et mièvre romance, ses personnages un peu trop schématisés et sa construction plutôt sommaire cochant toutes les cases d’une future adaptation télévisée.
Reste un roman raisonnablement plaisant et prenant, mais sans grande épaisseur : un de ces plats qui se mangent facilement mais qui ne remplissent pourtant pas leur homme, qui plus est mis en appétit par un bandeau beaucoup trop racoleur.
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