Le Capitaine Alatriste par Lonch de Bourgogne
Bon, je voulais écrire un texte original, drôle et plaisant à lire, afin de décrire une série de livre que j'apprécie, et, comme souvent, mes doigts pianotant sur le clavier découvre une vie autonome et écrivent un peu ce qu'ils veulent.
Soit dit en passant, mieux vaux quelque chose de tapuscrit (j'ai découvert ce mot aujourd'hui, donc je le replace) que manuscrit, dans mon cas, car j'ai l'écriture d'un médecin affublé de la maladie de Parkinson.
Bref, je voulais parler de la série de livres écrit par Arturo Perez-Reverte, les « aventures du Capitaine Alatriste. »
Avec un titre pareil, ca évoque le capitaine Fracasse, et on n'est pas loin, dans l'idée : c'est ce qu'on peu appeler un roman de cape et d'épée. Oui, oui, comme les trois mousquetaires ! A première vue...
Tout gamin, j'adorais les Trois Mousquetaires. J'adorais la manière d'agir, le panache. Car c'est bien cela qui caractérise les romans de cape et d'épée du XIXème siècle en France : panache, aventure, idée selon laquelle la manière dont on fait quelque chose est plus importante que de faire cette chose, l'honneur, le dévouement. Donc je dévorais les romans de cape et d'épée : Dumas, bien sur, avec ses mousquetaires, son vil cardinal de Richelieu dominant un faible Louis XIII, mais aussi Théophile Gautier, et le Capitaine Fracasse, Paul Féval, son Bossu et son Loup Blanc.
Je pense, en aparté, que mes conceptions dépassées et désuètes d'honneur, de respect de la parole donnée, et mes tendances à essayer de me faire remarquer me viennent en grande partie de ces lectures.
Et puis on grandit, on passe à autre chose. Dans mon cas, ce fut la fantasy et la SF. Ma passion dévorante pour l'histoire me fit vouer aux gémonies Alexandre Dumas, pour diverses raisons. D'une part parce que ses Trois Mousquetaires sont à l'Histoire ce que le café du commerce est à l'analyse politique, d'autres part parce qu'étant devenu un gauchiste (oui, oui, le couteau entre les dents pour découper du bourgeois), j'appris que le fils de ce vieux réactionnaire avait loué les actions des Versaillais lors de la Commune de Paris.
Bref, des raisons idiotes qui ne devraient pas enlever le plaisir de la lecture. Mais j'avais donc abandonné les romans de cape et d'épée pour les mondes imaginaires.
Et un jour, un ami vient chez moi pour une partie de Jeu de Rôles (si vous ne savez pas ce que c'est, je vous expliquerai peut être), et me dis « tiens, toi qui aimes les romans d'aventures, on m'a recommandé un roman de cape et d'épée. »
Je levais donc un sourcil interrogateur et sceptique (tel la fosse, ah ah !) et il me montra un exemplaire des « Aventures du Capitaine Alatriste », que je retournais pour voir de quoi il retournait, justement...
A première vue rien de spécial en lisant le 4ème de couverture : un spadassin espagnol, bien... aventures à la cour d'Espagne, ok... Bon, c'est comme les 3 mousquetaires sauf qu'il est tout seul, c'est ça ? Des tavernes... Un poète, Francisco de Quevedo, inconnu au bataillon pour moi, un jeune valet et un assassin italien... Et ca finissait sur : « Renoue, grâce à une plume flamboyante, avec les grandes traditions du roman de cape et d'épée. »
Bon, bon, bon... Et bé, ca en jette, une plume flamboyante, rien que ça !! Ca peut être sympa, comme petite lecture du soir, ou pour le métro (oui, j'habitais encore à Panam')
Donc je lui empruntais (il lisait autre chose et savait que je lis vite... Très vite...Je viens d'ailleurs de finir un roman de 900 pages en anglais en une semaine... Oui, je me vante, et je n'en ai pas honte du tout !) et donc...
Et donc paf, la grosse baffe ! LA claque.
Dés la première phrase, on comprend qu'on est aussi loin de Dumas que possible : « Il n'était pas le plus honnête, ni le plus pieux des hommes, mais il était vaillant. »[1]
Je ne suis jamais allé à Madrid. Je ne suis allé en Espagne qu'une seule fois dans ma vie, pour aller à San Sébastian, donc très loin des lieux décrits par Perez-Reverte dans son livre. Mais maintenant, à force de lire et relire les Aventures de ce Capitaine j'ai presque l'impression de connaitre ce Madrid du début du 17e siècle.
Ce livre est une flânerie. Une flânerie dans une époque grandiose et misérable, en un pays puissant et corrompu, entourés d'individus honorables et pourtant malhonnêtes. Oh bien sur, il y a une histoire, une intrigue... Mais qu'est ce qu'une intrigue quand on vous convie à la découverte.
Et avec cette série de livre, j'ai...
Et bien, par ma foi, j'ai enroulé ma cape sur mes épaules, ceint ma vieille rapière dont la garde cabossée montre les coups reçus en Flandres ou dans les tripots, ajusté mon chapeau à large bord, et je suis parti dans Madrid, alors que le soleil était déjà haut, clignant des yeux.
J'ai croisé des nobles dames et leurs duègnes, me découvrant sur leur passage, échangeant un regard avec les jeunes paltoquets qui les accompagnaient, cherchant visiblement querelle, mais peu désireux de le faire avec un vétéran des tercios.
J'ai diné dans une taverne, arrosant ma gorge sèche d'une gorgée de vin de Valdeiglesias, en écoutant les ragots des clients, regardant d'un œil vide les rodomontades d'individus qui n'ont d'hidalgo que le nom qu'ils se donnent. J'ai parlé des Flandres, du Roi, du Favori Olivares, du Pape et de ces hérétiques d'anglais, que le diable les prennent en son royaume !
J'ai vu des duels commencer pour un simple tutoiement entre deux valets, puis ce furent leurs maitres qui en vinrent aux mains ; j'ai vu des femmes accueillantes vendre leur nature, puis aller à confesse et donner plus d'argent aux églises que d'honnêtes bourgeoises.
J'ai vécu un temps dans cette Espagne superbe, cette Espagne autrichienne, dont les feux brillaient encore. J'ai écouté Francisco de Quevedo réciter ses poèmes, compissant son rival, Luis de Gongora, le traitant de sodomite et de bougre ; j'ai croisé Velasquez et Calderon de la Barca sur le parvis de San Felipe. J'ai assisté aux pièces de Lope de Vega, le Phénix du Parnasse, puis à la corrida où Sa Majesté Très Catholique tua un taureau d'un coup d'arquebuse, pour le grand plaisir de la foule.
J'ai croisé le fer dans les nuits madrilène, plantant ma dague dans le ventre de mes adversaires. Puis j'allais quérir un prêtre pour leur administrer les saints sacrements avant leur trépas, qu'ils ne meurent pas en état de péchés mortels. J'ai assisté à l'exécution de gentilshommes de fortune, garrotés en place public et mourant comme ils ont vécu, fier, jurant par tous les diables et vouant au enfer juges, témoins et alguazils.
J'ai combattu en Flandres sous les croix de Bourgogne des tercios, creusé des tranchées à Breda, je me suis mutiné pour ma solde, j'ai maudit les flamands, les bourguignons et les italiens, puis j'ai perdu ma solde au jeu ou entre les jambes des filles à soldats. J'ai senti l'immonde odeur de la chiourme.
Enfin, dans le dernier carré des Tercios, le soir de la bataille de Rocroi, j'ai pleuré sur le soleil d'Espagne qui se couchait, voyant se lever le Soleil de France. Et je me suis senti fils de cette ingrate Espagne, dur et fier, combattant jusqu'au bout, mordant la main qu'on me tendait. Santiago y Espana !
Et j'ai refermé le livre.
Et oui, on est loin de Dumas et de son 17ème siècle aseptisé, où les pauvres ont bonne mine, où les soldats ne sont pas des soudards, et où les femmes sont pures et innocentes, ou bien de perverses manipulatrices.
Chez Perez-Reverte, les femmes sont des Saintes, les soldats sont des héros, et les pauvres sont hidalgos, dans cette Espagne glorieuse. Des saintes prêtes à se vendre ou à vendre ; des héros dans leurs paroles, mais peu ont connu la boue des Flandres, et les hidalgos le sont pour éviter de travailler, tout en restant pauvres. La fange y côtoie la soie, dans cette Espagne.
On est loin des combats où les bons mots sont aussi importants que les coups d'épée. Ici les combats sont rapides, sales, réels. Un coup d'épée, une parade, et homme meurt, la gorge tranchée ou le ventre ouvert, réclamant sa mère. Pas le temps de faire un bon mot, quand l'acier fouette l'air.
On est loin de l'église et du cardinal de Richelieu. L'église est corrompue, la foi se confond avec la bigoterie, et les feux de la Sainte Inquisition brulent encore les pieds et le corps des relaps, conversos et hérétiques. Malheur au juif, malheur au sodomite, mais plus encore, malheur à celui qui n'a pas de maravédis pour payer le bourreau et malheur à celui que les jeux politiques désignent comme ennemi de la Foi.
Ce n'est pas un roman de cape et d'épée. C'est une peinture de l'Espagne, de cette Espagne qui brillait de ses derniers feux, devenant légende, devenant l'Espagne du Siècle d'Or.
Voila l'histoire : un capitaine
Qui commandait notre escouade,
Vilainement blessé, malade,
Vivait là son ultime peine.
Quel capitaine, messeigneurs,
Que ce capitaine d'une heure.
PS : un film est sorti, basé sur les Aventures du Capitaine Alatriste. Mal découpé, mal ficelé, très brouillon, il n'est pas une bonne adaptation, sauf au niveau des images. Rarement j'ai vu un film aussi fidèle à l'image que j'avais des personnages et des scènes. La photographie est superbe et les acteurs sont bons. Quel dommage, un si magnifique gâchis...
[1] soit dit en passant, maintenant, quand je relis le début des Trois Mousquetaires, je hurle car le nombre d'erreur historique est tel qu'on dirait une copie de lycéen !