Le Carnet d’Or n’est pas seulement un livre qui m’a marqué cette année, c’est sans doute l’un des livres les plus époustouflant que j’ai jamais lu.
Anna Wulf, une romancière d’une trentaine d’année vit à Londres à la fin des années 1950.
On la découvre d’abord dans la première partie du livre, le roman Femmes libres, en pleine conversation avec sa meilleure amie Molly.
Puis Doris Lessing déploie le portrait d’Anna dans les 4 carnets de couleurs différentes que celle-ci tient, chacun consacré à un thème de sa vie. Elle repasse occasionnellement par Femmes Libres et termine avec le Carnet d’Or, qui réuni tous les fragments d’Anna.
Doris Lessing éclate la personnalité d’Anna, nous entraîne dans une introspection passionnante et profonde du personnage, pour nous en extirper au chapitre suivant. C’est comme si elle déplaçait sans cesse une caméra de l’intérieur à l’extérieur de son héroïne.
Par exemple, dans le carnet jaune, Anna ébauche un roman centré autour du personnage d’Ella.
Anna y extrapole les thèmes de sa vie et les étudie de manière romancée.
Dans une sorte Inception avant l’heure, Doris crée son alter ego Anna qui crée le sien en Ella, telle une mission exploratoire de l’identité et de l’humanité de l’autrice.
Qu’elle examine avec une précision scientifique couplée à un formidable talent littéraire.
J’ai aussi adoré les considérations d’Anna autour de son adhésion au Parti Communiste. Elle oscille entre sa volonté d’engagement politique et la déception et le cynisme qu’elle ressent face aux dévoiements de ses dirigeants et de l’aveuglement de ses membres.
Doris Lessing ose la subjectivité face aux injonctions des milieux artistiques de son époque : « Je compris que le moyen de surmonter, ou de franchir, ce dilemme, ce malaise à la pensée d’écrire sur ‘de mesquins problèmes personnels’ consistait à reconnaître que rien n’est personnel au sens d’unique. Écrire sur soi-même c’est écrire sur les autres, puisque vos problèmes, vos souffrances, vos plaisirs, vos émotions – et vos idées extraordinaires et remarquables – ne peuvent pas appartenir qu’à vous. »
A travers elle, Lessing tente de retranscrire l’état d’esprit politique des années 1950, comment il s’inscrivait dans la vie quotidienne de celles qui l’ont vécu, avant la « libération sexuelle » et les mouvements de libération des femmes.
Pour cette raison, Le Carnet d’Or a souvent été défini comme un roman précurseur du féminisme de la seconde vague.
Pourtant, Le Carnet d’Or est difficilement cataloguable tant les thèmes abordés sont variés – la misogynie, la maladie mentale, la condition des femmes, l’art, l’amitié – et les réflexions qu’il ouvre sont indénombrables.
Le communisme ne fournit pas seulement un théâtre et un terrain de réflexion pour son personnage, le marxisme imprègne sa perception du monde et la substance du roman.
Une philosophie qui a influencée Sally Rooney.
Le Carnet d’Or m’impressionne par l’intelligence formidable et redoutable qui s’en dégage, et me touche par la générosité de l’autrice qui livre une œuvre qui éveille, illumine, contrarie.
C’est un roman dense et exigeant de près de 1000 pages. Et pourtant je sais que le lirais à nouveau, une ou plusieurs fois, tant il est riche d’idées et s’approche au plus près que possible d’une forme d’absolu de la grande littérature.