Ecrit en 1936 après avoir lui-même fait l’expérience de la guerre en 1914, Léo Pérutz place le conflit en filigrane de la destinée tragique de deux hommes.
Christian de Tornefeld, gentilhomme déserteur rencontre Piège à Poules, voleur de grands chemins, et ensemble, décident de fuir les dragons de l’armée et leur chef Baron Maléfice, personnage au nom tout aussi évocateur. L’un est pleutre, l'autre combatif. Pour éviter la potence mais aussi peut-être par la manipulation, notre soldat donnera sa place et prendra celle du voleur en allant se perdre dans le labeur des forges de l’Evêque, forçat à long terme, mais seule façon d’éviter la potence. Le voleur, lui, devra rejoindre les armées de Charles XII, roi de Suède, semant la terreur par ses rêves de conquêtes. Par de multiples chemins de traverses notre brigand vagabond, cherchera plutôt fortune et à s’extirper de sa vie de misère. Il en oubliera son pacte, connaîtra l’amour et la renommée.
De son prologue visant le réalisme historique, Perutz a l’art et la manière au fil de l'intrigue de nous donner les réponses et pourtant reste maître de son suspense, surfant entre réalité et surnaturel où nous devrons bien attendre la résolution pour vérifier l’enchaînement sans faille dont il fait preuve.
On suivra sur quatre chapitres le parcours de Piège à Poule, voleur, Brigand de Dieu, devenu Le Cavalier Suédois. et pour finir l'homme sans nom.
Contemporain de Kafka, l’étrangeté de l’écrit séduit pour ce récit de l’imposture. Incantations à la survie, anges en pourparlers, fantôme pugnace, et un enfer des forges, qui ne serait peut-être qu’une forme de purgatoire sur Terre où le diable attendrait son heure.
Etonnante lecture, plutôt classique, à l’écriture parfois facétieuse mais au vocabulaire lisible, et aux rebondissements nombreux. Pérutz écrit avec humour et légèreté, parfois sarcastique, se moquant de la religion et des bien pensants, saluant les actes de rébellion. Des dialogues décalés où les propres réflexions du Cavalier Suédois lors de ses pérégrinations, nous enchantent oubliant l’adversité pour s’interroger sur les méfaits des uns et des autres... Lors de ses rencontres où il n’hésitera pas à faire part de ses connaissances multiples, offrant ses conseils comme exutoire à ses propres péchés, mais n’en oubliant pas sa perspicacité, et cette belle idée, implacablement raisonnée, de rédistribution des richesses de l’église. De ce court intermède, il aura au fil de ses aventures redonner vie et espoir à tout ceux qui le croiseront. Notre gentilhomme déserteur compris...C’est celui que l’on attend pas, qui se révélera bienfaiteur et pointe l‘humanisme de l’auteur.
Mais on pense aussi à Giono. Il y a la révolte, celle de la guerre et Le Cavalier qui n’aura de cesse d’en montrer les failles. On y retrouve l’amour de la terre, l'ambiance rustique et l'aspect désolé des campagnes de ceux qui n‘en prennent pas soin.
Crimes et châtiments, métaphore de la lutte entre le bien et le mal, mais aussi grande histoire d'amour, l’auteur dépeint admirablement l’univers sombre de l’homme.et de son époque. C'est aussi l’abus de pouvoir, la jeunesse précipitée dans la noirceur des hommes, les grandes envolées romanesques qui sauveront l’homme mais précipiteront également sa chute pour un ultime don de soi. Léo Pérutz mêle la foi, le rêve et la justice divine au cheminement du Cavalier Suédois, jusqu’à la rédemption. Les masques doivent tomber, et le parcours du double remettra chacun à sa place.
Ce qui peut paraître un roman d’aventures, est bien un drame humain universel, un jeu du chat et la souris entre l'homme qui croit maîtriser son destin et un destin qui se joue de lui...et qui en décidera autrement.