Je ne veux pas tomber dans les clichés orientalisants pour parler de ce roman indien, qui n’est justement pas du tout cliché. Terre de contraste, l’Orient est un mystère, les épices… Rien de tout ça dans ce très beau roman, très étonnant. Un peu à la manière du Goncourt, qui était un roman d’amour avec un peu de sculpture, Le cheval en feu est un roman sur la poterie, et un roman d’amour. Seulement, là où Andrea parlait très mal de sculpture et s’en servait uniquement de prétexte, Anuradha Roy donne très envie d’apprendre la poterie – ce dont on ne peut pas me soupçonner, a priori… C’est aussi un roman sur un chien, et sur un cheval, bien sûr.
Le livre est construit comme on tourne une poterie. Il s’ouvre sur le journal de Sara, étudiante indienne en échange en Angleterre où elle étudie la littérature. Le mal du pays, le dépaysement, le froid… Plutôt qu’un college novel banal et ennuyeux, le roman prend vite une autre envergure quand Sara commence à passer ses soirées d’étudiante à l’atelier de poterie. Elle s’y souvient de son père mort, de son maître potier Elango ; en un mot de sa jeunesse insouciante perdue. Et, à travers ses souvenirs, le roman s’engouffre dans un long flashback, histoire dans l’histoire, où l’on retrouve Sara enfant, en Inde, et surtout Elango, personnage magnifique, hindou chassé de chez lui car il aime Zohra, une musulmane, et grave des mots ourdous sur sa poterie rituelle, un cheval qui lui est apparu en rêve, et en feu (zeugma). Cette construction circulaire peut paraître classique, puisque l’on revient au journal de Sara à la fin, et ce Roméo et Juliette en Inde peut sembler pesant, surfait, hommage trop visible à la littérature anglaise. Mais Anuradha Roy écrit avec une telle finesse, par petites touches, que son roman est d’une incroyable délicatesse (tout le contraire de Veiller sur elle, donc, si vous me suivez…). Rien n’est évident, l’intrigue prend lentement forme sous nos yeux, à la manière de ce cheval de terre somptueux, orné d’un poème calligraphié par un vieil aveugle. Et puis, outre la poterie, l’Inde et l’histoire d’amour, il y a ce personnage de chien, Chinna, ou Tashi, absolument magnifique, et tragique, lien d’humanité entre des communautés qui se détestent. Tout ça en 250 pages. Prends ça, Andrea !