L'exercice critique est tout à fait différent selon qu'il soit forcé ou librement consenti. On comprend mieux d'où vient ce cliché de la critique méchante qui n'aime rien : quand vous n'attendez rien de particulier d'un livre mais que vous êtes obligé de le lire, il est plus simple de ne pas retenir ses coups. Si vous êtes déçu par un livre que vous vouliez lire, vous êtes encore influencé par la nostalgie de votre envie. Là... Je n'avais pas envie de lire ce livre et je ne l'aurais jamais fait s'il n'avait pas été au programme du Prix du roman des étudiants France Culture-Télérama.
Je me suis donc forcé et l'ai lu intégralement, et autant commencer par dire que ce n'est pas du tout, du tout, ma branche. Je ne dis pas que ce soit mauvais - l'auteur a l'air sincère et est même assez touchant en interview - mais simplement ce n'est pas fait pour ma sensibilité de lecteur. C'est un genre de conte, ou de fable : les personnages, les lieux et la temporalité sont indéterminés. Le narrateur à la troisième personne est le personnage principal, Gio, dont on découvre au bout de 50 pages qu'il a 20 ans (avant, il est appelé "le gamin", ce qui laisse pas mal de marge) et de 100 qu'il est gitan. Il rentre de l'hôpital après avoir survécu à un coup de tournevis dans le crâne. S'en suit un affrontement entre deux clans rivaux sans qu'on en comprenne vraiment les enjeux, la rencontre avec Dolores et Papillon, une jeune fille et un gamin muet, leur fuite vers un ailleurs qui ne sera pas plus doux.
Ce qui m'arrête d'emblée, c'est l'écriture. L'auteur essaie de restituer ce qu'il croit être le langage des gitans, ou des marginaux en général, et après tout pourquoi pas, c'est même plutôt salvateur de leur donner la parole. Le problème, c'est qu'au bout d'un moment, on n'y croit plus, malgré un effort initial de bonne foi : on voit l'exercice de style, un genre de pose d'écrivain qui veut montrer ses muscles. Le sort des personnages est évidemment horrible, sans espoir, et j'aurais aimé m'y intéresser et être ému, mais rien ne m'a accroché : ni l'intrigue dont on ne comprend pas grand-chose, ni les situations,
ni même la mort de Dolores et Papillon que j'ai comprise 30 pages après.
Je m'interroge donc sur le geste littéraire : si l'objectif est de décrire une réalité sociale dure et d'ordinaire invisibilisée dans l'espace social, pourquoi passer par cette forme de fiction qu'est la fable ? Pour dire que la violence des hommes et le tragique de la condition humaine sont des données intemporelles ? On n'avait peut-être pas besoin de ça pour s'en rendre compte... Il y a aussi une histoire d'honneur : le monde des gitans, initial, est régi par un code d'honneur, mais là où le trio arrive, à "la capitale", la trahison est la règle. Comme un genre de morale anti-moderne, ou de parabole biblique dont on doute de l'explication : il faudrait rester dans son milieu, de peur du monde extérieur ?
Mais encore une fois, l'auteur semble vraiment croire à ses personnages et on ne peut que le saluer, alors je plaide l'incompréhension face à ce livre qui ne m'a pas du tout retenu.