Voilà peut-être le Balzac le plus balzacien qui me soit passé entre les mains.
On y retrouve tout. Des âmes pures et simples broyées par un Paris d'intrigues dans lequel les mains tendues sont des combats de pouces déguisés, des complications notariales à la mode de la Restauration, des retranscriptions orthographiques d'accents germaniques de mauvais goût, des machinations juridiques ourdies par la lie la plus truculente des bas-quartiers, des méchants unis par de bas intérêts mais n'attendant qu'un faux mouvement pour s'entre-dévorer, de magnifiques hypocrisies, un épilogue trop comiquement cynique pour ne pas pardonner la tragédie, et enfin, l'une des introductions de roman les plus gourmandes qui soient, du type dont Balzac a parfois le secret.
Hélas, Pons incarne un certain genre de roman balzacien éclipsé par un autre genre de roman balzacien : celui du "rise and fall". Il en est pourtant la part complémentaire, car si la saga Rubempré a su transmettre l'indémodable message "méfiez-vous des nuits parisiennes d'Ofenbach", Pons ajoute : "mais aussi des paysans de Milet".
Plus centré sur la vermine grouillante et ses combines Death note que sur le destin pathétique des deux bons héros -leur trop grande candeur atténuant presque les remords qu'on éprouve à vouloir que le coup des malfaiteurs réussisse-, rempli de cet humour qu'apprécieront uniquement les gens capables du minimum syndical de méchanceté pour ne pas être ennuyeux, Pons est peut-être le parangon du "Balzac crasseux" là où Rubempré est celui du "Balzac épique", ou moral.
Roman d'intrigue capable de réveiller nos instincts les plus malicieux, au point de nous faire adorer des personnages aussi bas que l'insupportable madame Cibot ou le dangereux mais magnétique Fraisier et son regard de verjus, il n'est peut-être pas le plus utile des Balzac en matière d'édification morale et pratique, dans laquelle excelle d'habitude l'auteur, mais dieu, qu'il est jouissif pour qui aime les intrigues de portes cochères !
Du pur plaisir immoral, rempli de ces vices qui font le charme de la France des romans du XIXe et des vieux films du milieu XXe au plus tard, voilà au final ce qu'est Le Cousin Pons : le rappel que si la bassesse humaine n'est que Comédie, il est bien permis d'en tirer du divertissement.
Alors vivons heureux en attendant notre mort : il se trouvera bien quelqu'un à qui elle sera utile