" La guerre nous a transformé en bêtes, vous comprenez, en bêtes cruelles et stupides formées à tuer"

Cela se passe dans le trou du cul du monde, le cul de Judas ( les culs de Judas en version original) comme les appelle Antônio Lobo Antunes, les orifices souillés de l'Angola.
La jeunesse portugaise des années 1970 a été se perdre, perdre sa vie et sa dignité, dans les coins paumés de l'Angola, mais aussi du Mozambique et de la Guinée, pour sauver un Empire perdu d'avance.
L’État portugais ne réussit plus à payer ses dettes, surtout celle qu'il doit à la génération décimée, née dans les années 1940, partie en exil ou se faire tuer par un « ennemi invisible ».
Un trou béant, plus profond et dégoûtant que le cul de Judas, est montré du doigt dans ce roman.
Les fosses creusées par les militaires portugais pour enterrer les noirs, l'exil de centaines de milliers de jeunes hommes pauvres, enfin la plaie ouverte d'un pays qui n'a toujours pas fait son deuil ; tout est là magistralement décrit par le monologue du narrateur-personnage, médecin de camp comme l'a été notre auteur.

C'est donc Lobo Antunes qui soigne ses blessures à l'encre de Chine, tandis que le personnage et beaucoup d'autres traumatisés des guerres d'outre-mer, les trempent dans l'alcool.
Le roman est un témoignage et une complainte, qui a eu un retentissement à la taille de l'histoire traitée, dès sa sortie en 1979, seulement quatre ans après la fin des guerres coloniales portugaises.
La complainte des culs de Judas, c'est les phrases infinies et confuses du narrateur-personnage qui, en même temps qu'il se noie dans ses souvenirs, se noie dans les verres de Whisky.
L'ensemble de l'édifice de l'Estado Novo est ébranlé par le monologue destructeur et destructuré du médecin : l'Eglise qui par le biais du Cardinal Cerejeira maintient les « pauvres domestiqués » ; la police secrète ( PIDE) ; la rhétorique coloniale, et Luanda « ville coloniale prétentieuse et sale que je n'ai jamais aimé, graisse d'humidité et chaleur, je déteste tes rues sans destin, ton Atlantique domestiqué ».

Le sexe, les goûts, l'esprit, l'écriture, tout est taché par le sanguinaire désastre de la décolonisation de l'empire portugais.
L'horreur et le traumatisme de la guerre, une génération « sans passé, sans futur, qui flotte dans l'étroitesse apeurée du présent » et une phrase résumant ce livre grandiose : « Vous n’avez jamais eu envie de vous vomir vous-même ? ».

L'épisode le plus déchirant de l'histoire contemporaine portugaise, raconté par le plus grand romancier lusophone vivant : le cul du Judas
DuarteLaurent
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le 21 janv. 2013

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