La colline aux loups, un lieu-dit dont le nom intrigue, inspire l’imaginaire, effraie ou fait rêver, mais l’on est loin de ce que l’on découvre au fil des pages et du destin de Duke, cet enfant né de l’enfer, devenu démon en dépit de sa bouleversante humanité. Ce qui m’a le plus frappée dans ce roman est l’impression constante de lire le témoignage d’un homme qui se raconte depuis son enfance dévastée jusqu’à l’adulte qui n’a pu échapper à la violence dans laquelle il est né. Il pourrait s’agir du réel travail de mémoire d’un repris de justice dont les jours sont comptés, et qui dans une tentative ultime de rédemption explique comment et pourquoi il en est arrivé là.
Duck est un enfant né de l’infamie. Entouré de ses cinq frères et soeurs, il a été élevé dans le « nid » par des êtres dénués d’humanité. Voyez comme l’on cède facilement aux phrases toutes faites, j’allais écrire « comme dans une portée d’animaux sauvages« , grossière erreur car les animaux qu’ils soient sauvages ou domestiques, élèvent, aiment et éduquent leurs petits. Duke et sa fratrie n’ont rien connu de cela: à peine de quoi survivre en terme d’alimentation, ni affection, ni intérêt, privés de stimulis, donc aveugles aux émotions, comment auraient-ils pu s’éveiller au monde dans ces conditions ? Duke découvre qu’il y a un autre monde en entamant sa scolarité. A l’école, les élèves le rejettent, les professeurs le prennent en pitié. Mais ils ne voient pas tout ou ne veulent pas savoir. Duke, violé par son père, sombre. Devenu adulte, il n’échappe pas à l’emprise du mal, comme une hérédité maligne transmise par ses géniteurs. Condamné à la prison, il écrit son histoire dans une langue approximative, avec un vocabulaire succinct, -il fait du mieux qu’il peut avec ce qu’il a appris -mais qui parvient à dire l’essentiel : la gravité de ce qu’il a vécu enfant, le traumatisme généré par les actes barbares dont il a été victime, la conscience que quels que soient ses actes, il sombrera toujours du mauvais côté.
« Je suis comme un arbre pourri avec ses racines pour toujours dans le marais de l’enfance. »
Le style est incomparable, comme battu aux quatre vents, presque exempt de ponctuation, auquel il faut certes s’habituer mais âpre et riche à la fois, riche de spontanéité et de véracité, qui transporte et émeut. Le Démon de la Colline aux Loups fait partie des romans incontournables et accablants qui traitent des violences faites aux enfants, tout comme Eddy Bellegueule, le roman autobiographique d’Edouard Louis ou Triste tigre de Neige Sinno.