Cher Giovanni Drogo,
Je t'ai suivi dès les premières pages, dans ta lente montée à cheval vers le fort Bastiani. Dès lors, je n'avais qu'une hâte; que tu en sortes. Là était l'impossible enjeu de ma lecture, comme lorsque que, dans Roméo et Juliette, j'espérais que le messager arriverait à temps à Mantoue pour prévenir l'amant désespéré de la supercherie.
Ici l'horreur du non-retour est plus prégnante encore; elle glisse pesamment comme l'une de ces brumes sur le désert des Tartares.
Les jours passent, puis les mois, puis les années. Et tu attends ta vie, incessamment, au bout d'une morne étendue de roches déchiquetées. Et je pense inlassablement :"mais enfin, retourne en ville ! C'est là qu'est la vraie vie".
A la fin du roman, l'on ne sait plus réellement où est la vraie vie. Faut-il rester prisonniers d'un univers gai où la vie s'écoule paisiblement, ou faut-il choisir le fort Bastiani ?
Le fort Bastiani, c'est la recherche paradoxale de ce qui ne viendra jamais. Tu en as la certitude, et pourtant tu attends encore, dans cette atmosphère oppressante. Tous les jours se ressemblent, et tu es face à ton désert intérieur.
Ce n'est qu'à l'instant de la capitulation, lorsque la nuit t'engloutit, qu'enfin la guerre arrive. Cette guerre de toute ta vie, que tu ne vivras pas.
A la fin du roman, tu as trop avancé sur ta route. Le long du chemin, il n'y a plus de visages accueillants, l'enfance a fui au loin. Seul s'offre l'oubli, dans une mer d'étoiles.