Ce livre, c'est la plus grande claque qu'il m'ait été donné de recevoir. C'est un de ces bouquins qu'on ne referme jamais complètement, ceux qui laissent une page cornée et une gouttière fêlée dans le manuscrit de ma pensée, entrouvrant le cahier de ma paranoïa, de mes doutes et de mes questionnements.
A vrai dire, c'est sans doute la quatrième de couverture de L'idiot, le commentaire du traducteur, qui illustrerait le mieux ce que l'écriture de cet alien russe peut transmettre. Je me dois donc de réécrire ici ce petit passage, destiné,donc, à l'Idiot:
"Traduire L'idiot (ici donc, lire le double), c'est vivre, pendant un an, dans une tension incessante, avec une respiration particulière: jamais à pleins poumons, toujours à reprendre son souffle, toujours en haletant, à tenir cet élan indescriptible qui fait de presque chaque mouvement de la pensée, de chaque paragraphe, voire de chaque phrase une longue montée, une explosion et une descente brusque (...). Jamais auparavant l'image physique d'un auteur écrivant son roman ne m'avait tant suivi. Tous les matins, me mettant au travail avec une sorte de bonheur terrorisé, je le voyais paraître devant moi, et je me demandais: 'Mais comment donc un homme peut-il écrire cela?'". (André Markowicz).
Si je cite ici ce remarquable paragraphe, c'est que je ne saurais mieux expliquer l'expérience incroyable qu'a été pour moi la lecture de ce roman névrosé, magistral.
L'écriture de Dostoïevski, libre, brute, rythmée par une respiration saccadée, est tout simplement unique, fabuleuse. "Comment donc un homme peut-il écrire cela?"
Cet homme accablé de responsabilités qu'est Mr. Goliadkine, emprisonné dans ses valeurs et dans un immobilisme maladif, apparemment lot commun de tous les hauts fonctionnaires d'alors, se trouble: son double apparaît, semble lui voler sa place. Complot? Paranoïa? Et pourquoi donc semblent tous le moquer? Qu'a-t-il donc fait de mal, lui qui a toujours exercé son rang de la façon la plus réglementaire? Quel est donc ce mal incarné venu fausser la donne?
Ce livre est un MUST HAVE, pour tout le monde. Il est ce que la littérature a de plus précieux: le génie narratif, le génie stylistique, le génie psychologique, le charisme incarné. Après ça, j'aurais tué pour connaître cet auteur fou, cet auteur formidable qui n'en finit pas de se tourmenter à la place de son personnage. De son lecteur. De son être profond, ou d'une fiction détachée? Bon sang, je tuerais pour le savoir.
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