Le Garçon est un fabuleux roman d’initiation. Une aventure fougueuse qui vous possède entièrement, contée par une écriture puissante, poétique et singulière. Si de prime abord le style narratif peut déconcerté, l’auteur réussi brillamment son coup : celui de nous saisir, de nous happer, devenant les témoins privilégiés de l’équipée de cet enfant des bois. Car en ce début du XXe siècle, au fil des 500 torrentielles pages, vous assisterez aux joies et aux peines de l’enfant sauvage. Avec ce roman-fleuve inouïe, Marcus Malte fait preuve d’un talent rare. Il allume une flamme en votre sein, qui s’accroît à mesure que le protagoniste grandit, se développe, s’émancipe.
J’ose voir dans ce roman un découpage élémentaire. (Bachelard ?)
Il n’a pas de nom. Il ne sait pas lire, ni écrire, ni parler. Le livre débute sur la pérégrination nocturne d’une créature. C’est le garçon portant sa mère. Il l’emmène face à la mer. Le premier acte c’est le ressac, celui des souvenirs, le dénuement, le froid marin soufflé par Éole, celui qui assaille le cœur. C’est l’iode, les larmes, puis l’étendue bleutée, horizon vierge synonyme d’actes à écrire, la promesse du mouvement. Il n’a pas vécu près des hommes mais il sait qu’ils existent. Il ira à leur rencontre.
Il n’a pas de nom. Il ne sait pas lire, ni écrire, ni parler. L’acte deux et trois sont la terre. Les chemins de traverses, la vie d’homme des cavernes et de nomade. Le commencement du commencement. Ce sont ces pas dans les pas d’autres avant lui. Parallèlement, c’est l’observation du nouveau monde. Ni de trop près, ni de trop loin, suspendu aux branches d’arbres centenaires.
Survient, la rencontre fortuite avec les semblables. En apparence. Elle est brutale, inamicale, crotteuse. Elle profite de son ardeur à la tâche. C’est l’emploi de sa force de travail aux travaux des champs. Injuste sera sa conclusion.
Sous les traits d’un ogre lutteur, elle se fait amicale, protectrice, elle l’éduque. C’est la terre-père. Le temps s’adoucit. Puis il en percute une nouvelle, à la vitesse vertigineuse de 30 km/h. Tour à tour, cette terre providentielle sera bienveillante, nourricière, et enfin aimante. C’est Déméter la noble. Elle l’initiera aux plaisirs d’une vie.
Il s’appelle Félix. Il ne sait pas lire, ni écrire, ni parler. L’enfant est né dans les bois. Il a grandit auprès d’hommes.
Il est l’un des leurs. Il est plus que cela. C’est le complexe de Prométhée personnifié. Mime mu par son humanité.
Le feu. Il y part, il y participe. Au ballet des scalpels, il en fait plus que sa part.
Le feu, il le connaissait funéraire. Il le découvre mortifère. Le sauvage n’est pas celui que l’on croit.
Si la querelle de famille prends fin, l’enfer des tranchées le hante lui. Dans son sommeil les brigades de Méphistophélès le poursuivent. Ses nuits sont fiévreuses.
Il n’a plus de noms. Il ne sait pas lire, ni écrire, ni parler. Il est invisible. Un courant d’air. Une ombre qui parcourt la Terre. Il est sur les routes, il s’enfonce dans les forêts, il navigue sur les océans, il traverse les rivières, il creuse la croûte terrestre, il en ressort, il cultive la terre.
C’est la ritournelle du vagabond. Car il recherche cette contrée promise dont sa mère semblait lui désigner les rives.
Sauf que le temps des illusions est fini. Il s’est enfui. Depuis longtemps. Il aurait pu le retenir, il ne l’a pas fait. Foutu complexe. C’est le drame lyrique.
Le Garçon est la symphonie d’une vie brisée par l’Histoire, celle écrite par les lâches, les cyniques, les cupides et les amoraux. Le roman de la « petite histoire » dans les méandres de la Grande. La plus glorieuse n’étant pas celle que l’on souhaite nous faire croire.
Néanmoins, les mots et superlatifs usés pour cette chronique ne peuvent pas décrire, avec suffisamment d’entrain et de justesse, les qualités de ce roman.
Reste l’émotion ressentie à la lecture de ce livre, toujours égale si ce n’est plus à la relecture.
Reste l’hommage silencieux. Comme le garçon.