J’aime la littérature car elle brille parfois comme un phare au milieu du Mal.
C’est le cas du roman de l’écrivain albanais Ismaël Kadaré.
Il existe de nombreuses dénonciations de la guerre ; l’unique bienfait de cette horreur de l’humanité est d’insuffler parfois aux artistes les plus doués la force vitale qui alimente leur œuvre où ils peuvent parfois toucher à l’essentiel de la condition humaine.
Un général, d’un pays non défini mais qu’on comprend vite être l’armée fasciste italienne, est chargé par son gouvernement et par les familles de retrouver la dépouille des militaires morts en Albanie lors de la Seconde Guerre mondiale.
Accompagné d’un prêtre officier à la fonction mal définie et muni de listes avec des indications topographiques et médicales précises, voire de récits de rescapés, il aura pour lugubre mission de fouiller la terre aride et glacée de ce pays où son armée a été vaincue après de terribles massacres encore dans la mémoire de la population.
Parti en héros, sûr de sa haute tache, il finira aux confins d’une folie grotesque à la tête d’une armée de morts.
Lui qui ne prenait même pas la peine de penser, fier d’assurer sa mission, prendra peu à peu conscience dans sa chair de sa véritable défaite face à des albanais rudes qui dissimulent à peine leur satisfaction à voir ses ouvriers ainsi fouiller la terre, remuer la boue, exhumer la honte et l’ignominie qu’ils ont, eux, gardées en mémoire.
Dans un réalisme halluciné, les paysages montagneux et glacés de l’Albanie enfanteront dans la douleur cette armée vaincue mais qui essaie encore de nuire en tuant par exemple un ouvrier albanais victime d’une infection, blessé lors de l’ouverture d’une tombe. On repensera longtemps au journal des déserteurs devenus des ouvriers de ferme ou à cette vieille femme qui lancera aux pieds du général les os de l’officier devenu post mortem un héros admiré, qu’elle avait tué jadis de ses propres mains parce qu’il avait pendu son mari et violé sa fille.
Kadaré nous fait vivre le fond de la guerre, qui n’est pas l’héroïsme ni le courage mais bien la honte et le malheur. Une fois passée la violence de la guerre, ce sont eux qui perdurent à jamais dans la mémoire.
NB : éviter l’édition Albin Michel bourrée de coquilles.