Le Grand Troupeau
7.4
Le Grand Troupeau

livre de Jean Giono (1931)

« L’Alphonse avait parqué ses bêtes. Il s’en alla sous le cèdre. Je le voyais là-bas, debout, la tête renversée en arrière, comme s’il buvait à une bouteille : il sonnait de la trompe. Le son vint me trouver dans mes herbes. Et puis, j’entendis sonner le Bousquet et le Danton, et l’Arsène, et sur l’autre versant, toutes les trompes sonnaient. (…) Alors, d’un bon coup de sifflet, je jetai toutes mes bêtes dans la pente. Sous l’arbre, les paquets étaient prêts, et les amis m’ont dit : « On part ! » J’ai dit : « Ici l’herbe est belle. » On m’a répondu : « Oui, mais on part à la guerre ! »

 

La Guerre de 14 a jeté dans la pente le grand troupeau des hommes. Elle les a arrachés à un éden que Giono situe entre le plateau de Valensole et la montagne de Lure. Elle a vidé les vallées, les villages et les granges. Dans ce roman publié en 1931, Jean Giono donne à voir au lecteur le vertige que constitua la Grande Guerre pour la civilisation paysanne. En plein mois d’août, on quitte son champ pour mourir au milieu des moissons des autres. On laisse, derrière soi, un foyer, un troupeau, un village. Si ce n’est pas le roman le plus abouti de Giono, que ce soit dans la construction ou dans le style, sans doute cet aspect fouillé s’explique par l’expérience traumatique qu’a constitué pour l’auteur ce conflit. L’arrière, le petit pays où la guerre est absente, où la guerre est absence, est le véritable objet de l’ouvrage. L’évocation du front est sporadique, presque épileptique. La parabole du grand troupeau, guidé vers un but qu’il ignore sans se poser de questions est, elle, filée tout au long du récit. Ce dernier brille ainsi davantage dans son évocation d’une civilisation paysanne qui, sans s’en douter, est déjà au bord de l’abîme de la modernité. Une civilisation lente, rendue têtue par un sentiment autarcique millénaire. À la différence des Genevoix, Cendrars et autre Dorgelès, Giono a fait le choix des pâturages vides et des ruelles désertes, plutôt que celui des « épis mûrs » de la grande moisson, ou de l’immense boucherie.  

 

« C'étaient ces fleuves d'hommes, de chars, de canons, de camions, de charrettes qui clapotaient là-bas dans le creux des coteaux : les grands chargements de viande, la nourriture de la terre. »

Perlesvaus
7
Écrit par

Créée

le 1 mai 2023

Critique lue 13 fois

Perlesvaus

Écrit par

Critique lue 13 fois

D'autres avis sur Le Grand Troupeau

Le Grand Troupeau
Sabri_Collignon
7

La Grande Boucherie.

C'est un réquisitoire contre cette "Grande Guerre" qui utilise la métaphore du troupeau.L'histoire a pour cadre la Provence,ou il situe certains de ses personnages.Giono démontre avec cette histoire...

le 29 janv. 2014

8 j'aime

4

Le Grand Troupeau
JeanG55
6

Le grand troupeau

"Le grand troupeau" est un roman de Jean Giono sur la période 14-18 dont on sait combien cette période fut définitivement à l'origine de ses positions pacifistes ultérieures qui ont baigné sa...

le 15 août 2021

6 j'aime

15

Le Grand Troupeau
Catherine_Carde
10

LA MORT DANS LA PEAU

J'ai lu avec intérêt les publications au sujet du " Grand Troupeau ", que je place parmi les plus importants , avec "la Peur" , "Ceux de 14 ", " à l'Ouest rien de nouveau " , " la Main coupée " et "...

le 25 juin 2021

1 j'aime

Du même critique

Mort dans l'après-midi
Perlesvaus
5

Critique de Mort dans l'après-midi par Perlesvaus

« C’est la question de la mort qui crée toute la confusion. La course de taureaux est le seul art où l’artiste est en danger de mort et où la beauté du spectacle dépend de l’honneur du...

le 26 févr. 2024

L'été en enfer
Perlesvaus
8

Critique de L'été en enfer par Perlesvaus

« Un gravier dans la chair d’un homme, et les empires s’écroulent. » Émile Zola, La DébâcleJamais, sans doute, la santé d’un seul individu n’a présidé aussi lourdement au cours de l’histoire de...

le 26 févr. 2024

Les Raisins de la colère
Perlesvaus
9

Critique de Les Raisins de la colère par Perlesvaus

La poussière, la sécheresse et le moteur à explosion, comme autant de plaies d’Égypte, ont jeté sur les routes américaines tout ce qu’il y restait de poétiquement et prosaïquement médiéval. Dans cet...

le 26 févr. 2024