A cause d'un éditeur crapuleux et pour éviter un contrat pourri avec celui-ci, Dostoïevski avait été contraint d'écrire ce roman en seulement 27 jours. Une situation stressante pour l'écrivain, alors en plein dans la rédaction de Crime et Châtiment, mais qui va déboucher sur trois choses positives. La première, c'est qu'il réussira à finir l’œuvre à temps, et donc à éviter le contrat pourri. La seconde, il avait été contraint, pour pouvoir aller plus vite, d'engager une dactylo, qui deviendra sa seconde épouse et avec qui il finira par trouver enfin une certaine stabilité ; stabilité sans laquelle il n'aura certainement pas réussi à écrire une œuvre plus apaisée comme Les Frères Karamazov. La troisième, malgré le temps très court de rédaction, ou peut-être grâce à celui-ci, Le Joueur est une œuvre réussie.
Je ne sais pas si la vitesse a quelque chose à voir avec cela, mais toujours est-il que contrairement aux mastodontes de l'écrivain (et ce n'est pas une question d'épaisseur !), Le Joueur est un roman qui se lit rapidement, ayant un ton fiévreux qui pousse à cette lecture rapide. Un ton fiévreux qui colle bien évidemment à la perfection à son sujet.
Alexeï Ivanovich est à Roulettenbourg en Prusse, qui possède un casino où les gens peuvent gagner de très grosses sommes pour très vite les perdre ensuite. Il est précepteur des enfants du général qu'il accompagne. Et il est amoureux de la belle-fille de ce même général, Paulina, d'un caractère tempétueux, qui n'hésite pas à lui montrer souvent une attitude paraissant méprisante. Cette dernière semble attirée par le créancier français du général qui ne manque pas de l'accompagner. Et le général est amoureux d'une mondaine française qui est surtout intéressée par le contenu du portefeuille du monsieur. Sans parler que le général attend par télégramme des nouvelles de sa vieille tante riche, qui a la fâcheuse tendance à mettre du temps à claquer. Alexeï Ivanovich éprouve donc de la passion pour la belle-fille de son employeur, mais le jeu peut se révéler une maîtresse bien plus possessive et bien plus envoûtante...
Non, le fait qu'un roman se lit rapidement et assez facilement (c'est même jusqu'ici le livre le plus accessible que j'ai lu de l'auteur, et je pense que c'est le billet d'entrée idéal pour pénétrer dans son univers !) ne le rend pas forcément mineur. Le Joueur est une œuvre, assez fortement autobiographique, où les passions humaines explosent autour d'un cercle infernal qui s'appelle la roulette. A travers la fièvre du jeu (dont a été sérieusement victime l'auteur, donc on a le récit de quelqu'un qui sait parfaitement de quoi il parle !) et au côté d'une galerie de personnages mémorables, on suit les tourments qui animent à chaque instant le protagoniste, étant, pour le coup, aussi le narrateur de l'histoire, on comprend comment il peut se laisser gangrener rapidement par le cercle infernal (même si on lui crie sans cesse intérieurement "Mais dégage, bordel !" et qu'on se dit qu'il ne faut surtout pas s'approcher d'une roulette parce qu'on risque d'être aussi abruti que lui !).
Le tout ne manque pas d'une certaine touche d'humour, à l'instar de l'apparition inattendue de la vieille tante débarquant dans l'hôtel au grand désespoir de son neveu, qui ne fait que rendre la lecture encore plus prenante.
Le Joueur est une belle preuve que quand on a du talent, beaucoup de talent, du génie, le tout avec l'expérience, le temps n'est pas nécessairement un adversaire nuisible.