Tout me poussait à en attendre trop de cette œuvre. Tout d’abord, son auteur, synonyme pour moi de génie absolu – Crime et châtiment étant mon livre préféré de tous les temps. Ensuite, sa préface, qui nous livre la vision de Dostoïevski sur son roman avant de l’écrire : « Je peins un jeune homme dont le caractère est absolument ouvert, un homme versé en beaucoup de matières,mais incomplet en toute choses. Il a perdu toute croyance, et, en même temps, il n’ose pas être un incroyant. Il est à la fois révolté contre l’autorité et peureux devant elle.[…] Le personnage principal est très vivant, il me semble le voir devant moi ; et, quand mon histoire sera finie, elle vaudra la peine d’être lue. Le point essentiel est que toute sa sève vitale, ses forces, son impétuosité, son audace sont absorbées par la roulette. C’est un joueur, mais ce n’est pas un joueur ordinaire […]. Le héros est un poète à sa façon ; mais il a honte de cette poésie dont il ressent profondément la bassesse. Toutefois, le besoin de risquer quelque chose le relève à ses propres yeux. » Dostoïevski nous décrit ici un personnage profond et travaillé, que je n’ai – à mon grand désespoir – pas retrouvé dans le roman. Alexeï Ivanovitch fut une immense déception par rapport à l’idée que je m’en faisais avant de commencer ma lecture. Sa « sève vitale » n’a pas été absorbée par le jeu, car il en est dénué. Il est plat au possible, gamin jusqu’à la caricature, et profondément ennuyeux.
Je suis dure avec mon auteur favori, mais la déception est réelle. Je voulais, je voulais voir en Le Joueur un véritable chef d’œuvre, comme tous ceux qui l’ont critiqué ici. Mais j’ai eu beau mettre toute ma volonté, je n’en garde qu’un ressenti amer.
Pour sa défense, le roman n’est pas mauvais. À mes yeux, c’est la grand-mère qui a relevé le niveau. Tout d’abord, son inattendue apparition en Allemagne était effectivement très drôle. Si le personnage semblait un peu caricatural, c’est celui qui m’a pourtant le moins déplu. C’est avec la babuchka que la passion l’addiction au jeu est la mieux retranscrite. Dostoïevski nous dépeint avec succès la fièvre, la terrible fièvre qui s’empare peu à peu de cette grand-mère lorsqu’elle joue à la roulette. On ressent très clairement le jeu la vider de sa substance, de sa sève vitale, jusqu’à son assèchement. À la fin de son séjour, la si fière et tempétueuse grand-mère a perdu de sa superbe : ruinée, malade, il ne reste presque plus rien d’elle. Je me suis beaucoup attachée à ce personnage, beaucoup plus qu’à cet Alexi sans intérêt.
Si je n’ai pas retrouvé exactement le style de Dostoïevski que j’attendais, c’est avant tout car le roman reste à mes yeux trop superficiel. Je n’ai pas retrouvé les personnages profonds et travaillés qui livrent, à travers des dialogues ou monologues de génie, leur personnalité complexe et étudiée. Ici, je n’ai rencontré que des clichés.