Lu en Février 2020. 9.5/10 Traduction de Jacqueline Des Gouttes
Quel magnifique petit condensé des troubles que peuvent subir les victimes de la stupidité ou de la barbarie. Mon premier Zweig et son dernier m'emporte dans une histoire d'un simple jeu d'échec. Ce jeu dont on sait qu'il en a rendu fou plus d'un, dont les champions de tout âge sont des espèces d'autistes géniaux, incapables de s'adapter à la réalité. C'est le cas du champion du monde Czentovic, idiot, rustre, ne vivant qu'à travers les 64 cases de l'échiquier mais en étant le Dieu auto-proclamé, rappelant tant dans la forme que par les dates notre mal vieux Hitler. Seul opposant à lui, Monsieur B. un homme qui dit n'avoir jamais touché à un échiquier depuis son adolescence. Néanmoins, ce cher M.B.. Autrichien de son état a subi une torture mentale de l'isolement pendant l'occupation nazi. La seule image à laquelle il peut se rattacher est un manuel d'échec. Pendant des mois et des mois, il apprendra les parties du manuel à en devenir fou. Pendant la croisière racontée et partagée par le narrateur. Les deux hommes sont amenés à s'affronter. M.B.. est infiniment plus créatif, mais lui qui était si calme et distingué devint fou à l'idée de pouvoir battre le champion du monde avec une telle facilité. Czentovic a gagné.
Ce livre a un seul défaut, il est un peu trop court pour être un chef-d’œuvre aussi marquant que d'autres grands romans. L'histoire est terriblement prenante, j'adore la plume, l'enchaînement des mots, le rythme. Chaque personnage a son caractère propre, aucun n'est détestable. J'aime particulièrement le narrateur qui est un personnage "bon".
Ensuite, évidemment ce sont les thèmes traités qui sont forts. Inscrit dans l'époque contemporaine à l'auteur, les ravages de la WWII se font sentir. M.B et sa forme de torture semble réaliste, ses réactions aussi. Il y'a un questionnement sur la façon dont fonctionne la conscience et l'inconscience dans une phase de trouble et comment ces troubles ressurgissent dans des situations clés. Czentovic est un génie, un paysan devenu nanti, qui est passionnant de froideur et exactement comme j'imaginerais un Kasparov. Le riche britannique qui paye pour voir jouer est tout sauf un mécène, il jubile à l'idée de pouvoir d'approprier une performance exceptionnelle.
En bref, cette nouvelle dresse un portrait magnifique de la folie que peut entrainer l'isolement. Les moyens pour s'en sortir peuvent être anodins, et d'autres profils diamétralement opposés peuvent trouver leur porte de sortie au même endroit. L'écriture est incroyablement imagée et c'est un régal, il aurait écrit plus que ça ne m'aurait pas dérangé, bien au contraire.
"Selon la raillerie d'un partenaire rageur, son inculture dans tous les domaines était universelle"
" Comment se figurer l'activité d'un cerveau exclusivement occupé d'une surface composée de 64 cases noires et blanches ?"
"Dans ses yeux, je reconnus cette flamme de folle passion qui ne saisit d'ordinaire que les joueurs de roulette quand, pour la sixième fois, ils ont misé double sur une couleur qui ne sort pas."
"C'était l'isolement le plus raffiné qu'on puisse imaginer."
"Il semble qu'il y ait dans notre cerveau de mystérieuses forces régulatrices qui écartent spontanément ce qui pourrait nuire à l'âme ou la menacer."
"Ce n'était plus deux partenaires qui voulaient éprouver leur force en s'amusant, c'étaient deux ennemis qui avaient juré de s'anéantir réciproquement."