« Les journaux sont pleins de drames mais feuilleter leurs pages ne fait aucun bruit. »

Rentabilité, rendement. Profit, profit, profit.
Quand on travaille à la mine, il faut chaque jour aller plus vite, au détriment de la sécurité. La fosse de Saint Amé de Liévin ne fait pas exception à la règle. Forcément… un matin de décembre 1974, la fosse s’enflamme. Le bilan est lourd : 42 morts, des dizaines de blessés dont Joseph Flavent. Décédé à l’hôpital quelques jours après la catastrophe, il ne sera jamais reconnu comme l’une des victimes officielles.
40 ans plus tard, Michel Flavent, son frère, est toujours hanté par cette tragédie. Après le décès de sa femme, il retourne vivre dans le nord, bien décidé à retrouver les coupables et « venger sa famille de la mine ».
C’est un livre puissant, terriblement humain, porté par le style ciselé et incisif de l’auteur. Chaque phrase est un coup qu’on encaisse aux côtés des personnages et notamment de Michel Flavent.
Dès les premières lignes, cet homme apparaît comme blessé, amputé d’une part de lui-même, celle qui lui permettrait d’être heureux. Depuis la mort de son frère, son âme est emprisonnée à la fosse Saint Amé, tout ce qui tourne autour de la mine et de la catastrophe est une véritable obsession chez lui. Est-ce que retourner dans le Nord l’apaiserait ? Lui permettrait de se retrouver et d’être enfin en paix avec lui-même ? N’y a-t-il réellement que la catastrophe de Liévin qui l’enchaîne au désespoir ?
Autant de question qui apparaissent au fil de la lecture et dont nous n’avons pas forcément les réponses. Michel est un homme brisé, pathétique parfois, touchant souvent. Un enfant qui a grandi trop vite et qui n’a jamais trouvé sa place dans ce monde. Ce qui est intéressant ici, c’est qu’au-delà de cette histoire de drame familial et de vengeance, c’est à toutes les victimes « dommages collatérales » que s’attache l’auteur. Il n’y a pas eu « que » 42 victimes à Liévin ce jour-là mais des centaines : veuves, orphelin.e.s, frères, sœurs, parents…
L’histoire de Michel Flavent le montre bien.
Comme toujours dans ses romans, Sorj Chalandon nous questionne sur la Cause et l’âme humaine. Jusqu’où peut-on s’arranger avec la Vérité ? Jusqu’où peut-on vivre avec la culpabilité ? D’ailleurs, lors d’une catastrophe de cette ampleur, qui est le réel coupable ? Jusqu’où se battre pour réparer les injustices ? Les réparer pour qui ? Pour quoi ?
Le roman est très bien réfléchis, alternant passé (les jours qui ont précédés ou suivis la catastrophe) et présent. Chaque chapitre amène son lot de découvertes, l’histoire de Michel se déploie lentement sous nos yeux jusqu’aux dernières pages. Surprenantes, inattendues, percutantes. Sorj Chalandon se joue de nous, s’amuse à nous perdre au point qu’à la fin de la lecture, on ne sait plus si l’on doit admirer Michel, le plaindre ou le détester.
Avec sa critique en arrière-plan de la rentabilité au travail, du bénéfice avant l’humain au mépris de la sécurité, ce roman soulève des problématiques très actuelles. Quand on voit les conditions de travail de certain.es professionnel.les de la santé ou du social, par exemple, on se demande jusqu’où notre société est prête à aller et combien d’hommes et de femmes seront encore sacrifié.es au nom du sacro-saint profit.
Un roman sur la culpabilité, la revanche, la vengeance, le pardon, la tristesse, la déception, l’espoir, l’admiration, l’amour fraternel… bref, un roman sur l’humain.


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DameDePique
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le 6 juin 2018

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