Combien de gens évoquent Le Kalevala sans jamais l'avoir lu, sans jamais l'avoir tenu dans leurs mains et sans même savoir à quoi il correspond exactement? Il faut dire que le texte n'était, jusqu'à présent, pas évident à dénicher à part dans des collections très onéreuses ou dans des versions expurgées. Les éditions Champion nous en offrent une version abordable en format poche, sans pour autant abandonner ce qui fait la qualité de leurs collections: une indéniable rigueur scientifique. C'est ainsi que cette traduction due à Jean-Louis Perret est accompagnée d'une préface du traducteur et, surtout, d'un avant-propos de Juliette Monnin Hornung qui, tous deux, nous situent le travail effectué par Elias Lönnrot lors de la conception du Kalevala.
En effet, contrairement à ce que pensent bien des non-initiés, ce texte n'est en aucun cas un ouvrage issu du moyen âge finnois, mais bien une mosaïque de contes et de récits oraux rassemblés par Lönnrot au dix-neuvième siècle lors de ses pérégrinations à travers les villages de son pays. Après avoir fait œuvre de collecteur, il a ensuite mis l'ensemble en vers pour lui donner une unité et créer une vaste fresque poétique et mythologique qui rassemble la plupart des héros incontournables du folklore finnois: Vaïnämöiinen, Ilmarinen, Lemminkäinen et Kullervo, quatre personnages hauts en couleur qui incarnent parfaitement l'identité de ce peuple nordique par la géographie, mais pas par la langue. On découvre ainsi un univers dominé par la magie, le dévouement, le désir de paix et le bonheur de vivre, qui entraîne ses héros dans des quêtes initiatiques dont on sent rapidement l'influence sur certains conteurs contemporains comme J.R.R. Tolkien qui, lui, avait lu Le Kalevala.
En se plongeant dans ces légendes finnoises, le lecteur se retrouve immerger dans un monde différent, qui prend en compte à la fois la dimension humaine et la dimension naturelle, intégrant l'un à l'autre dans une osmose perdue de nos jours. Ce retour aux sources merveilleuses permet une remise en question intéressante qui se double d'un intérêt littéraire inégalé. Si les apports de Lönnrot semblent évidents, ne serait-ce que dans l'unité qu'il a apportée aux différents contes rassemblés, on retrouve derrière leur paravent des échos des siècles passés, notamment dans les dialogues ou la mise en place de descriptions d'inspiration médiévales. Cela donne à l'ensemble une dimension poétique inégalée qui renvoie aux bardes de jadis et à cette scansion qui accompagnait leurs récits vespéraux. Un texte incontournable qui, en ce vingt-et-unième siècle trouve encore d'étonnants échos dans notre recherche d'une alternative à une mondialisation phagocytante.