Philipe K. Dick est un fascinant génie, maître du soupçon et des réalités altérées, cachées ou superposées (cf. Ubik). Or, l’un de ses premiers romans explorait une autre piste, celle de l’uchronie. Imaginons que les puissances de l’Axe aient vaincu : Roosevelt assassiné, l’Amérique ne sort pas de la Grande crise et le maréchal Paulus capture Stalingrad ! Les USA sont occupés et partagés en deux zones d’occupation, nazie et nippone. La technologie allemande domine le monde, ses vaisseaux conquièrent Mars. Les idéologues ont obtenu l’exécution des juifs, des noirs, des handicapés… Dès la mort naturelle du Führer, les hiérarques du NSPD ; qui n’ont pas été exécutés à Nuremberg ; se déchirent. Vont-ils se lancer à l’assaut de la Sphère de coprospérité de la grande Asie ? Commerçant et méditant, le suzerain japonais s’est révélé presque débonnaire.
Le roman s’attache à une poignée de personnages, au début des années 60 :
• Rudolf Wegener, officier de l'Abwehr, en mission secrète : l’amiral Canaris tente d’alerter les Japonais d’un danger de guerre nucléaire.
• Son contact, M. Tagomi, un entrepreneur qui apprécie vivement l’artisanat américain.
• Robert Childan, fournisseur de Tagomi qui, à la fois, méprise, admire et redoute les Japonais.
• Frank Frink, artisan joaillier d'origine juive et sous-traitant de Childan.
• L’ex-femme de Frank, la belle Juliana, professeur de judo.
Les fils de leurs histoires s’entrecroisent habilement autour de deux nœuds, deux livres.
• Ils usent tous du Livre des transformations ou Yi King, un ouvrage traditionnel chinois qui propose des oracles par l’interprétation du tirage au sort de 64 hexagrammes.
• Tous évoquent un troublant roman, Le Poids de la sauterelle, une uchronie dans l’uchronie, où Hawthorne Abendsen imagine que les Anglais ont remporté, à eux seuls, la guerre. Japonais et les Allemands s’inquiètent de son succès, qui risque de susciter un esprit de résistance.
Le Maître du Haut Château se montre avare en rebondissements, si ce n’est les tentatives d’assassinat d’Abendsen et de Wegener ourdies par les services secrets allemands. Dans l’ultime chapitre, après être enfin parvenu à rejoindre l'écrivain, Juliana découvre, dans un oracle, que le roman décrit la vérité intérieure. Point final.
Le lecteur reste sur sa faim. Nous ignorons qui prendra le contrôle du parti nazi, si la guerre se rallumera, si Juliana rejoindra Frank… et qui est le maître du monde ? Le Yi King est-il omniscient ? Difficile de résister à la tentation de relire l’opus à la lumière de ses œuvres postérieures : tout se réduit-il à des simulacres ?
N’est-ce pas aller trop loin ? Qu’est-ce que Dick nous a raconté ? Une réalité alternative où son pays, l’hyperpuissance triomphante et inquiétante de la Guerre froide, est battu : une situation inconnue dans la courte histoire des États-Unis. Les Yankees se découvrent vassalisés, humiliés, exploités. S’ils ont, jadis, ressenti le poids de la dépendance face à une puissance extérieure, ils étaient alors fils de colons. Seuls les Afro-Américains et les Amérindiens ont connu la misère physique et morale. Oubliez les réalités altérées ou psychotiques, Le Maître du haut château décrit une histoire parallèle, l’unique occasion d’assister à l’humiliation des orgueilleux WASP.