Pourquoi cela fait-il longtemps que le fantastique m'indiffère
Le fantastique, on connaît cela. Plus qu'à la myriade de fantômes et autres créatures douteuses qui le peuplent, le genre correspond surtout à un dispositif énonciatif conceptuel, à peu près invariant, qui est celui de la focalisation interne, puisque c'est au sein de sa subjectivité malmenée chez des narrateurs fragiles que naîtra l'inconfort de l'étrange surgissant du commun. Les nerfs s'usent, on perçoit mal, on s'angoisse, et voilà le démon qui paraît devant vous.
De lettres de fous en explorations cauchemardesques, balancé entre les consciences culpabilisantes, les malades de la tête et du sang et les voyageurs orientaux, le fantastique peine bien à nous offrir autre chose qu'une poétique de la lacune dans laquelle une vieille prestidigitation usée met tout le dispositif bavard en place. Il s'agira toujours d'accumuler des indices rationnels pour construire un cadre factice qu'il sera aisé de briser par l'introduction opportune de discordance – faisant mine d'oublier par là que l'univers dans la toute-puissante main de l'artiste a été créé ad hoc pour ça –, et le nombre de coups de théâtre à la fin pour trancher entre le fantôme et le drap, ou refuser, est somme toute assez limité.
En ce sens, le fantastique paraît trop souvent ne devoir être qu'un réalisme de foire, et il n'est probablement pas étonnant d'avoir fréquemment vu les auteurs creuser ce même filon conjointement dans les deux directions ; cette littérature à objets, à personnages-métiers appropriés, à cadres narratifs emboîtés attestant, à notables redingotés.
Je n'ai pas envie de parler du roman de Perutz qui fait tout ça, assez tardivement puisque le livre est publié dans les années 20. Quatre-vingt dix pourcents du roman est consacré à une édification souvent poussive de ce cadre qui m'ennuie, et le reste aura l'originalité toute relative de proposer un fantastique psychothérapique plus en accord avec son temps mais qui n'a fondamentalement rien de bien incroyable à amener, surtout dans sa façon pataude de convoquer un autre narrateur en épilogue pour renverser la vapeur, quand plusieurs indices intradiégétiques dans le récit principal se suffisaient.
Alors oui, vouloir faire de son monstre, figurativement,
un mélange de phénomène scientifique et de phénomène esthétique avec ce rouge qui est tout autant apocalyptique et pictural qu'infra et optique sur le spectre du visible mesurable
, c'est pas mal. Mais le reste du livre ne se légitime pas pour moi.
Décidément, je serai dix-neuvièmiste sans aimer l'un de ses grands masques. Je n'aime pas le fantastique.
PS : j'aime profondément Mérimée encore. Mais je crois que c'est l'un des rares à avoir su combattre cette tendance chapeau à lapin et aucun-fil-n'est-apparent du fantastique en écartelant le concept de base. Les personnages de Mérimée sont des sceptiques rationalistes qui en viennent à prouver le surnaturel en prouvant le naturel, et techniquement il est très difficile de rendre tangible, crédible ce paradoxe scandaleux. Mérimée est très doué.
PS 2 : On aime ou pas le fantastique mais je reprocherai essentiellement à Perutz un manque total d'économie. On aurait pu faire une nouvelle honorable avec son histoire en coupant bien des étapes intermédiaires et répétitives, et dans tous les bouquins que j'ai essayés du sieur j'ai ressenti le fait qu'on me soumettait des lignes structurellement non justifiées. C'est probablement pour ça que j'ai autant de mal avec lui quand bien même tout me pousserait à l'apprécier.