Qu'on soit clair: Le Meilleur des mondes n'est PAS une dystopie. Il présente une société au contraire utopique. Une utopie morbide où tout le monde est constamment béat de bonheur, car conditionné pour exister ainsi. Cette oeuvre est une dystopie pour ceux qui ne sont pas intégré à cette société si particulière. Ceux pour qui la pilule bleue n'est pas passée. Ceux qui, -malgré un conditionnement dès le stade embryonnaire- montrent des signes de rébellion, un besoin irrépressible d'individualisme propre à l'ancien monde imparfait. Je parle bien entendu de Watson et Marx.
D'ailleurs, que fait l'administrateur mondial pour punir ces deux dissidents qui refusent de s’intégrer dans le meilleur des mondes? Dans n'importe quelle société dystopique, une balle derrière la nuque et on en parle plus, ça c'est dans le meilleur des cas. Dans d'autres œuvres encore pires, comme Brazil, tout acte de dissidence peut se finir en torture infâme. Là ce que fait Menier (l'administrateur), c'est d'envoyer sur une île mieux adaptée à leur souhaits de vie nos deux protagonistes, une île d'homme libre. "vis avec nous dans notre paradis artificiel ou fais ce que tu veux ailleurs" j'appelle pas ça une dystopie. A cet égard, 1984 d'Orwell est infiniment plus sombre.
Bien plus subtil qu'une dystopie bête est méchante, cette oeuvre critique l'idée même de bonheur, de conditionnement, de liberté. Elle nous questionne sur notre rapport au véritable bonheur, sur le besoin d'être parfois malheureux, car le bonheur seul, -s'il n'est pas contrebalancé par son opposé-, ne perd-il pas de sa signification? Le conditionnement, -élément clef de l'oeuvre d'huxley-, apparaît en premier lieu comme une spécificité propre au monde dans lequel vit Marx. Pourtant quand ce dernier va dans la réserve indienne et rencontre John, le sauvage. On se rend bien compte que John est également conditionné à sa manière d'homme sauvage, car de part ses valeurs, il est parfaitement incapable de satisfaire ses désirs charnels. Il n'arrive pas à être heureux avec une femme qui le désir. D'ailleurs, sans spoiler la fin: on voit bien où toute cette frustration l'a mené. La question serait donc de savoir si la liberté elle-même est une utopie ou serait-elle bien réelle au prix du sacrifice de son bonheur?
En conclusion, ce livre possède le même dilemme que Morpheus propose à Néo dans Matrix:
"Choisis la pilule bleue et tout s’arrête, après tu pourras faire de beaux rêves et penser ce que tu veux. Choisis la pilule rouge : tu restes au Pays des Merveilles et on descend avec le lapin blanc au fond du gouffre".