Ce qui est beau dans ce livre, c'est que malgré ses dehors théoriques, rationnels, froids et descriptifs, faisant référence à de nombreux philosophes, il demande une grande bêtise pour pouvoir être apprécié.
Car la thèse du meilleur des mondes est absolument stupide, crétine, idiote :
Si nous avons tous un but commun, dans la vie, il me semble que c'est le bonheur, et accessoirement que le monde aille bien, du moins le mieux possible. Combien de gens au monde sont heureux, je veux dire pleinement heureux ? Même pas 1 %… Et je ne parle même pas de l'état géopolitique du monde… un silence en dirait bien plus que des mots…
Et ces deux buts, le Meilleur des Mondes nous l'offre.
Alors oui, ce bonheur et cette harmonie universelles ont un prix, évidemment : la liberté, seulement… si Huxley loue la liberté, pour que le monde décrit dans ce bouquin existe, il faut partir d'une thèse déterministe : le conditionnement n'est possible que s'il y a déterminisme, car le libre-arbitre, s'il est dans notre nature, s'il nous est intrinsèque, est immuable. Or si déterminisme il y a nous ne sommes déjà pas libres au départ et n'avons qu'un sentiment de liberté, sentiment de liberté qui serait bien plus poussé dans le Meilleur des Mondes (le sentiment de liberté, dans ce monde là, se résumerait à la capacité à satisfaire un désir, or tous les désirs sont conçus de manière à ce qu'ils soient à portée de main).
Et puis tout n'est qu'une question de point de vue : tant que je suis extérieur à cette société, je l'abhorre, mais aussitôt que je l'intègre, la vie qu'elle m'offre me convient parfaitement.
D'accord, je pourrais regretter certaines choses : Shakespeare et la diversité des individus au premier rang, mais ne connaissant ni Shakespeare ni la diversité des individus, comment pourraient-ils me manquer ?
Et puis encore, si conditionner les gens se faisait à des fins vicieuses… mais là non : nous sommes dans une parfaite harmonie. Le monde va bien, il évolue dans le bon sens, on a atteint une paix universelle et qui a toutes les chances de durer éternellement.
Mais malgré tout ça, je ne veux pas. Et je ne saurais dire pourquoi ; il n'y a aucune raison, : il ne peut y avoir de raison ; mon opinion défie la raison, elle la rejette. Je ne fais que suivre bêtement mon instinct. J'aime trop les individus, la mélancolie, l'attente, le goût de la dôbe, les mauvais airs d'acordéon, l'odeur de la mer, la sensation du sable qui glisse entre les mains, la vue des tâches de lumières qui filtrent entre les arbres et toutes ces conneries qui paraissent ridicules et qui font que la vie a du sens au-delà de son absurdité logique.
Et quand bien même les abandonner ne me manquerait pas, je résiste.