« ... Un Caméléon ? »
C’est par cette interrogation que débute ma relation fugace et passionnée avec Le Menteur de Henry James. En effet, chose rare pour être signalée, ce n’est ni le contenu dudit livre ni la réputation de l’auteur qui m’attirèrent au premier abord, mais bien la couverture de ce format poche folio. Étonnant donc.
Regardez donc cette malice délicieuse avec laquelle sont agencés les différents éléments. Ce caméléon unique dominant ce petit monde en deux dimensions et fuyant notre regard, venant souligner la simplicité de ce titre néanmoins évocateur : Le Menteur… Superbe (oui parfois il me suffit de pas grand-chose). Et puis le livre ne coûtait que 2€. Ce qui est un atout non négligeable lorsque l’on désire se faire arracher des rayons poussiéreux de la librairie du coin par un lecteur curieux et vacancier.
C’est donc une nouvelle fois à la suite d’une surprenante concordance d’éléments à priori totalement anodins (comme très souvent en ce qui me concerne) que débuta ma lecture de la nouvelle/roman de Henry James.
D’une durée relativement courte (environs 120 pages écrites en police MAMIE AVEUGLE), le roman met en scène un jeune artiste reconnu se voyant convié à un dîner au cours duquel il va recroiser son amour de jeunesse désormais mariée et heureuse en ménage avec un colonel émérite, qui se trouve être un fieffé menteur.
L’énigme du titre s’éclaircit enfin…
Et c’est bien d’une énigme dont il semblait s’agir au premier abord. Celle de savoir comment notre jeune artiste Oliver Lyon allait parvenir à révéler la vraie personnalité du colonel et ainsi retourner dans les bras de son seul et unique amour. Et bien qu’il s’agisse de la trame narrative porteuse de l’ensemble du récit, nous comprenons très rapidement que la fourberie de Henry James se fait bien plus vile que nous l’aurions imaginée. Car figurez- vous que Le Menteur est un titre bien mensonger.
L’auteur est un petit malin.
Le véritable sujet du livre n’est en effet pas le mensonge en tant que tel, mais l’obsession irraisonnée conduisant à mentir. Et c’est alors que Le Menteur se révèle dans toute sa délicieuse imposture, le livre n’étant pas le portrait d’un menteur mais le récit d’un véritable duel psychologique. Cependant, et c'est tout à l'honneur de l'auteur, ce duel n’est en aucun cas dépeint de façon frontal. Il est distillé en filigrane au fil des conversations que se livrent celui qui ne vit que pour travestir son existence et celui qui ne vit que pour détruire cette image si reluisante et pourtant désespérément factice. Ainsi Le Menteur du titre n’est plus formellement identifié, la destruction du colonel voulue par l’artiste le conduisant également à commettre ledit forfait.
Narré du point de vue de l’artiste, le livre se fait ainsi porteur d’un traitement très efficace de l’ambiguïté morale de ce combat, chacun des deux personnages étant une sorte de caméléon silencieux travestissant sa réalité dans le but de conquérir le cœur de la belle. L’intelligence d’Henry James étant de faire de son artiste un personnage aussi détestable que son menteur (mais pour d’autres raisons), évinçant ainsi tout manichéisme de l’histoire pour notre plus grand plaisir. Une histoire réellement prenante et porteuse d’un dénouement intéressant, malgré une première partie un poil trop explicative à mon goût.
Le Menteur est une ainsi une très bonne surprise, à la fois accessible de par son style narratif assez simple et réellement intéressant en ce qui concerne le traitement des thèmes abordés. Et puis dépeindre avec talent une histoire d’amour pour la faire se transformer avec cynisme en « guerre fratricide » opposant adversaires de la « même espèce », donne envie de découvrir les trésors que peuvent renfermer les autres Henry James.
Comme quoi, il est parfois possible de juger un livre à sa couverture.