Compte tenu de mon manque de considération pour Godard, je n'ai jamais vu le film qu'il a tiré du roman de Moravia. Mais compte tenu de la subtilité et de l'intelligence de ce livre, je n'ai aucun doute sur le fait que son adaptation cinématographique ne doit pas lui arriver à la cheville. Moravia livre un roman dense et haletant, qui interroge des thématiques intemporelles comme propres à son époque.
En quelques deux cents pages, nous assistons ainsi à la mort lente, douloureuse, cruelle et inexorable d'un couple. Moravia décrit avec une plume enlevée l'obsession pathétique du narrateur à vouloir comprendre les raisons du mépris soudain que lui voue son épouse et ses tentatives désespérées de raviver la flamme d'un amour éteint. En trame de fond, l'Italie d'après-guerre, l'évolution des rapports homme-femme, la quête de confort matériel et les états d'âme d'un dramaturge contraint de travailler comme scénariste pour payer ses traites.
Ce qui frappe dans "Le Mépris", c'est l'efficacité presque chirurgicale de l'écriture et de la narration. Chaque protagoniste joue un rôle précis dans le drame qui se joue, aucun dialogue n'est inutile, chaque détail est porteur de sens... Le parallèle avec l'Odyssée permet d'étoffer la lecture de la relation de Ricardo et Emilia, pouvant être interprété littéralement ou balayé du revers de la main, à la manière du protagoniste lorsque Rheingold lui livre son interprétation psychologique du mythe.
Ce court roman est une oeuvre virtuose, marqué par des scènes d'une justesse remarquable où la communication est rendue impossible, occultée par des sentiments trop intenses pour être compris, des contradictions trop éclatantes pour être acceptées. Des confrontations où le corps est contraint de prendre le relais des mots et où l'introspection vient combler les limites d'un dialogue devenu impossible. De fait, si Moravia réduit l'intrigue du "Mépris" à sa plus simple expression, c'est pour mieux disséquer la psychologie de ses personnages et il y parvient avec un talent certain qui rappelle dans une certaine mesure les écrits de Zweig, Sabato ou même Dostoïevski.