Si pour décider qu’on va lire en entier un (gros) livre, on se base sur les premières impressions, à savoir les premières pages, le moins que l’on puisse dire c’est que ce Ministère du Futur commence très, très fort. 2025, en Inde, une accumulation de dérèglements climatiques aboutissent à une monstrueuse canicule. 20 millions de personnes vont mourir en quelques jours. Raconté du point de vue d’un humanitaire occidental présent sur place, qui ne survivra que par miracle, ce chapitre est saisissant, dantesque, et impitoyable. Il nous raconte de l’intérieur ce que ça fait, de littéralement mourir de chaleur, et ces pages sont effrayantes. Et le point de départ de l’histoire de ce “Ministère du Futur”, décidé en urgence par les Nations Unies à la suite de l’hécatombe indienne, pour prospecter et surtout donner des solutions concrètes, pour enrayer la spirale de destruction anthropocène en cours. À partir de là, le roman se fragmente en une centaine de chapitres, certains très courts, tous très dynamiques, où l’action de ce Ministère sera vue par autant de protagonistes que de chapitres, ce qui rend les 600 pages de l’ouvrage très faciles à lire. Dans le rythme de lecture du moins, parce qu’il faut parfois s’accrocher, Kim Stanley Robinson ayant décidé de faire de ce Ministère du Futur un Livre-Monde extrêmement ambitieux, racontant sur une trentaine d’année un futur possible, et souhaitable par ailleurs, où l’action d’un organisme multinational décide de politiques de plus en plus coercitives pour…sauver la Terre, rien moins. C’est peu dire que la totalité des ressources intellectuelles de l’auteur sont convoquées et celles-ci semblent encyclopédiques : politiques locales et transnationales, agriculture, économie politique, géo-ingénierie, propositions d’alternatives, histoire, géographie, chimie, compréhension fine des mécanismes logistiques, climatologie et on en oublie, le tout emballé dans une intrigue politique à hauteur humaine dont le fil rouge sera la confrontation de deux protagonistes principaux, qu’on suivra tout au long de ces décennies. Du coup, on ne sait où classer cet ouvrage mutant, science-fiction, essai d’écologie radicale, exploration littéraire qui n’hésite par à donner la parole aux atomes et à l’Histoire elle-même, vulgarisation scientifique, prospective politique, manifeste résolument anti-capitaliste and much much more. On pourrait, et avec raison, craindre un kouglof littéraire en forme de pensum donneur de leçons, mais l’obstacle est fort habilement contourné par la dynamique de l’écriture, toujours dans l’action même quand elle réfléchit. Et toutefois, plus qu’une critique, une réflexion sur le livre : celui-ci apparaît à la fois…comment dire. Trop pessimiste ET trop optimiste ? “Trop” pessimiste, mais l’est-il vraiment trop quand on constate, objectivement, l’état de dérèglement accéléré du climat et qu’on commence à peine à mesurer les catastrophes en cours et à venir. Et “trop” optimiste, quand il se lance dans la description très volontariste des changements nécessaires, ceux-ci passant parfois par des formes d’extrême violence (mais ce sont des capitalistes qui en pâtissent, rien de bien grave donc), mais à la fin ça s’arrange. Ou alors, hasardons l’hypothèse réconciliatrice : il faut peut-être, dans la situation actuelle, être trop pessimiste pour se bouger enfin le cul, et se forcer à être trop optimiste, parce qu’on a plus le choix. On lira donc ce Ministère du Futur sur la plage, ou pas, en ayant très très chaud, ça mettra dans l’ambiance.