Alceste est solitaire, renfrogné, désabusé par un monde emprunt de superficialité et de faux semblants. Il est écœuré par le milieu dans lequel il évolue, où l'ont fait des courbettes en face de ceux que l'ont poignarde ensuite par derrière. Où la seule finalité de tout un chacun semble être d'être reçu à la Cour ou de s'y bien faire voir. Où le talent et l'honnêteté semblent être des qualités subsidiaires, voire encombrantes.
Et pourtant Alceste aime Célimène, figure de proue du milieu, courtisane parmi tant d'autres, reine de la langue de vipère et des salons mondains. Il l'aime à en devenir fou de jalousie, à en devenir aveugle aux qualités des autres, à être prêt à la croire sur parole lorsqu'elle se fend d'excuses ubuesques, pourvu qu'elle lui laisse l'illusion qu'elle n'aime que lui.
D'ailleurs peut-être n'aime t'elle en effet que lui. Peut-être est elle sincère, peut-être est-ce le personnage incompris de la pièce, celui profondément bon qu'on accuse à tort de félonie.
Ce qu'il y a de formidable avec cette pièce c'est qu'elle offre différents degrés de lecture, qu'elle est terriblement contemporaine, prouvant que de tous temps les hommes ne se soucient que de leur image ou presque. Qu'on peut, selon la manière dont on voit la pièce, selon la décision qu'on prend pour son personnage, en changer les enjeux à volonté. Décider qu'Alceste est hypocrite, puisqu'amoureux de Célimène, ou profondément sincère et malheureux. Choisir que Célimène est une manipulatrice, égoïste et superficielle, ou qu'elle n'a effectivement pas d'autres choix que de se soumettre aux règles du monde dans lequel elle évolue. Le tout sans en changer une seule ligne.