(9 : très bon)
J'ai longtemps hésité avant d'attribuer cette bonne note. Et pour cause : j'ai bien failli abandonner la lecture (ce que j'ai déjà fait avec "Baudolino"). Au début, je l'ai entreprise pour me détendre et ne tardai pas à être confrontée à des paragraphes imbuvables d'ekphrasis ou de réflexions théologiques où se déployait l'histoire détaillée de chacun des courants médiévaux jugés hérétiques. Pour être claire, ne me demandez pas de vous réexpliquer quel ordre lutte contre quel ordre, quelle doctrine contre quelle doctrine. J'en serais bien incapable, car je n'ai strictement rien compris. Et pourtant, ce sont des sujets qui me passionnent habituellement... Rien à faire, je n'accroche pas le style de l'auteur et, ô blasphème, j'avoue avoir lu certains passages en diagonale, chose que je ne fais jamais (même pour les descriptions balzaciennes ! C'est dire...).
Néanmoins, passé ce sentiment de rejet, je ne peux que m'incliner devant la maestria de l'auteur et le volume impressionnant des informations brassées pour tisser l'intrigue. "Le nom de la rose" est une magistrale leçon de littérature où l'étudiant trouvera des exemples de tous les outils techniques mis à la disposition de l'écrivain. Il en faudrait des marque-pages pour les citations et les exemples utilisables pour bâtir une dissertation ! Et pourtant, gare au péché d'orgueil lorsque le narrateur/écrivain se laisse aller à faire étalage d'un savoir qui n'a plus grand chose à voir avec le sujet. Ne serait-ce pas là l'un des objets du débat d'ailleurs ?
Je déplore avant tout le fait que cette œuvre ne soit pas accessible au grand public... les paragraphes entiers en latin non traduit ont failli avoir raison de ma pugnacité, quoique j'aie une bonne formation de latiniste. Dommage pour le spectateur novice enthousiasmé par la mise en scène du film et qui voulait en vivre les scènes coupées...
Attention le méchant spoiler à suivre !!
En ce qui me concerne, je suis bien souvent déçue par les adaptations infidèles à l'œuvre source et pourtant, je rends grâce à J.-J. Annaud d'avoir expurgé l'intrigue de tous ces débats religieux indigestes pour la recentrer sur l'enquête de Guillaume de Baskerville. A ceci près qu'il est des partis pris discutables, comme la divergence sur le sort de la sauvageonne entre le livre et le film, ou sur celui de Bernard Gui. Annaud a montré au spectateur ce qu'il voulait voir, tandis qu'Eco n'a pas ménagé le lecteur. Sans doute escamotons-nous dans le film l'une des volontés de l'auteur : mettre en évidence la cruauté (je m'excuse pour ce terme franchement cliché, surtout quand il se réfère au Moyen Age...) de certains comportements humains et le fait que la réalité n'est pas ainsi faite que tout s'achève par un happy ending où le gentil est sauvé, le méchant châtié. Ainsi la sentence est-elle sans appel, Guillaume de Baskerville part-il blessé au plus profond de sa chair et de son amour-propre pour n'être pas parvenu à sauver la plus grande bibliothèque de toutes la chrétienté qui disparaît comme une seconde tour de Babel, pour ne pas avoir sauvé le livre II de "la Poétique", pour ne pas avoir été suffisamment rapide pour prévenir certaines morts... Une magnifique réflexion sur la puissance de l'intellect humain et sur sa capacité à agir sur l'inéluctable...
En résumé : pour l'étudiant de Lettres Modernes, un excellent ouvrage pour piocher de précieux arguments. Pour le lecteur, désireux de se changer les idées sans se prendre la tête... mauvaise idée.. le film suffit amplement...