Dans sa première partie, Le Nuage pourpre relate une expédition au pôle Nord, déjà affolante pour l'âme du personnage principal, Adam, qui se présente lui-même comme un homme plein de probité mais que sa schizophrénie latente et ses accès de violence décrédibilisent très vite ; le voilà donc lancé, chiens devant le traîneau et lecteur sur le dos, dans une aventure façon Jack London, vers le bout du monde, à la recherche d'une gloire qu'il dit ne pas vouloir. Quand la fin du monde se produit telle qu'elle est annoncée dans le résumé, déjà une centaine de pages ont tourné – peut-être les plus intéressantes du livre. Ensuite s'ouvre le récit du voyage retour vers... le rien, long de « trois ans deux mois et quatorze jours », heureusement construit sur des ellipses et des sommaires parce que l'obsession du nombre exact (« trois mouettes », « cinq cotres », « huit cadavres dont deux Marocains », etc.) alourdit le texte, très descriptif.
D'aventure, il n'y a point vraiment, l'apocalypse ayant anéanti tous les obstacles potentiels qui font le registre dramatique ; c'est l'errance d'Adam sur terre, abandonné à lui-même, rejetant et retrouvant Dieu toutes les cinquante pages, qui prolonge le roman. Faut-il comprendre que l'homme même le plus sceptique se tourne naturellement vers le Créateur quand plus aucune autre créature que lui n'a de prise sur son esprit ? L'apparition de la femme dans la troisième partie du roman sauve le protagoniste (et la race humaine au passage) au lieu de le perdre ; Adam résiste aux pulsions parce qu'il refuse qu'elle devienne Ève : elle ne doit pas fauter une nouvelle fois pour ne pas replonger l'humanité dans la turpitude ; il faut donc préserver son innocence. Hormis cette réécriture intéressante de la Genèse sur la fin, qui interroge finalement et à demi-mot le caractère manipulateur du sexe faible, le roman de Shiel est avant tout un inventaire d'objets et d'individus (morts), un précis quasi scientifique d'un monde bouleversé qui n'enthousiasme guère.