Cette pièce de commande, écrite peu avant la mort de son auteur, se rapproche naturellement de Juste la fin du monde par ses thèmes et ses personnages. C’est une version disons « complète » de la pièce originale. Elle offre au lecteur-spectateur davantage de renseignements sur l’existence des personnages tout en en présentant de nouveaux. Au début, on ne comprend pas trop où on va, mais passées les vingt ou trente premières pages, on est plongé dans ce drame familial comme seul Lagarce sait en faire.
Il y a une tension qui évolue tout au long de la pièce pour aboutir, à la fin, à la querelle qu’on sait si on a déjà lu Juste la fin du monde, passant de courtes répliques sans intérêt ou presque à de longs paragraphes pleins de sens, rageurs, qui dénotent toute la colère qui existe au sein de cette famille, notamment à travers Antoine à qui, d’après moi, le film de Dolan ne rend pas justice. L’hésitation dans la parole, le bégaiement, les répétitions, tout ce qui est propre à Jean-Luc Lagarce est ici retrouvé de manière totale et magnifiée. Pour faire un parallèle, on pourrait comparer l’enchaînement stylistique de Juste la fin du monde à Le Pays lointain au gouffre qui sépare Voyage au bout de la nuit et la trilogie allemande de Céline. L’auteur va au bout de son projet et de son style, et c’est prenant, c’est inquiétant et, surtout, c’est pertinent.
Au début, l’on pourrait se dire que deux pièces avec les mêmes personnages, c’est trop ; à la fin, on en redemande et, forcément, on regrette la mort prématurée de ce prodige de l’écriture. En tout cas, cela donne envie d’en lire davantage.