Si le lecteur est scandalisé de toutes les badineries qu'il a vues
dans ce livre, il fera fort bien de n'en lire pas davantage...
Quand on dit "littérature du XVIIe siècle", on pense immédiatement théâtre de Molière-Racine-Corneille, Fables de La Fontaine, Contes de Charles Perrault, éventuellement aux moralistes Pascal et La Bruyère. Quant au roman, il semble n'en avoir qu'un seul, celui avec cette gourdasse de Princesse de Clèves. L'impression d'un siècle avec une littérature limitée, dont les seuls éclats de légèreté sont à rechercher chez l'ami Jean-Baptiste.
Et pourtant, quand on s'intéresse vraiment à cette littérature, on découvre un très large éventail de trésors cachés et injustement tombés dans l'oubli. Le Roman comique n'est pas franchement un roman connu du grand public. Il a le droit seulement à un public restreint de passionnés de littérature et d'universitaires.
Et pourtant, cette œuvre est un vrai plaisir à lire. D'ailleurs, qui choisit comme titre un oxymore ne peut que donner du bonheur à son lecteur (théorie totalement infondée, je le reconnais, mais, dans ce cas précis, véridique !). "Roman", romanesque, sublime, avec des personnages de haut rang, qui vivent des aventures prestigieuses, avec plein d'héroïsme et de sentiments ; "comique", le théâtre, on suit une troupe de théâtre et puis parce qu'il faut aussi faire rire le lecteur.
À l'époque, il fallait choisir son camp : romanesque ou réalisme.
Ben, les deux, a répondu Scarron, esprit jeune, brillant, léger, pétillant, drôle dans un corps handicapé, paralysé, complètement dévoré par les rhumatismes.
Le monsieur met des protagonistes romanesques et les entoure de personnages comiques et ridicules, dans un cadre géographique bien précis, Le Mans et ses alentours, peuplés de Français de classe populaire.
Il vire son œuvre dans le comique absolu, notamment avec le personnage de petit colérique orgueilleux, particulièrement malchanceux et maladroit, nommé Ragotin ; il la vire dans le romanesque absolu quand le récit de nos personnages, bien ancrés dans le réel, s'interrompt pour une histoire à la mode espagnole, faisant souvent écho à des mésaventures que vivent nos protagonistes.
Le soleil avait achevé plus de la moitié de sa course et son char,
ayant attrapé le penchant du monde, roulait plus vite qu'il ne
voulait. Si les chevaux eussent voulu profiter de la pente du chemin,
ils eussent achevé ce qui restait du jour en moins d'un demi-quart
d'heure ; mais au lieu de tirer de toute leur force, ils ne
s'amusaient qu'à faire des courbettes, respirant un air marin qui les
faisait hennir et les avertissait que la mer était proche, où l'on dit
que leur maître se couche toutes les nuits. Pour parler plus
humainement et plus intelligiblement, il était entre cinq et six quand
une charrette entra dans les halles du Mans.
Il se moque du style des romans héroïques, notamment en décrivant, dans l'incipit, avec des phrases alambiquées et interminables un simple coucher de soleil.
Elle lui sauta aux yeux, furieuse comme une lionne à qui on a ravi ses
petits (j'ai peur que la comparaison ne soit ici trop magnifique).
Il multiplie les niveaux de narration, n'hésite pas à intervenir directement, donne des titres improbables aux chapitres du genre "Qui contient ce que vous verrez, si vous prenez la peine de le lire", "Qui ne contient pas grand-chose" ou encore "Qui peut-être ne sera pas trouvé fort divertissant". Il s'inspire de Cervantès, inspirera Diderot et Théophile Gautier.
La prose vive, piquante et enjouée ainsi que la multitude de rebondissements ne laissent aucune place à l'ennui et aux temps morts. On se régale jusqu'à la fin d'une seconde partie, qu'on ne peut pas, hélas, appeler deuxième, car il n'y en aura jamais de troisième. Ragotin se fait maltraiter par un bélier, fin... Pas de suite, pas de final, pas de scènes qui promettaient d'être de reconnaissances, de retrouvailles, de révélations d'identités avec origine noble à la clé, d'heureux hyménées. Quelle tristesse !
Bon Scarron a au moins dit adieu à d'atroces douleurs rhumatismales, sa veuve s'est remariée au plus prestigieux parti de France et le lecteur peut choisir le verre au deux tiers plein au lieu de celui au tiers vide. Le mieux est de choisir le verre au deux tiers plein et se réjouir de cette œuvre, certes inachevée, mais savoureuse.