Un livre définitivement brillant
Emmanuel Carrère a ceci de très particulier qu'il écrit par une démarche en deux temps.
D'abord, il écrit ce qu'il a envie de raconter, dans une écriture très pudique et maîtrisée.
Ensuite, il écrit pour justifier ce qu'il vient de raconter, pourquoi il le raconte ainsi et non différemment, quelles recherches ou indices l'ont conduit à nous dire ce qu'il vient de nous dire.
Comme nous l'indique la quatrième de couverture, Carrère se conduit, dans l'ensemble de son oeuvre en général, et dans ce roman en particulier, en enquêteur.
On est alors doublement convaincu.
Le premier temps fait toujours mouche, grâce à ses talents uniques d'auteur, qui sait raconter sobrement, avec humour et lucidité, à peu près toutes les histoires.
Le deuxième temps nous rend l'expérience de lecture complète, éclaire la démarche, et traduit l'humilité d'un auteur qui place le recul et la distanciation comme maîtres-mots. Un deuxième temps de l'écriture qui nous invite à réfléchir sur l'auteur, puis sur l'Homme, et enfin sur nous-même.
Dans "Le Royaume", ce procédé se montre particulièrement efficace, parce que les faits racontés exigent précisément recul et distanciation, pour les aborder non avec condescendance mais avec respect et intérêt, avec l'envie de leur faire dire ce qu'ils tentent véritablement de nous transmettre.
En-dehors de ce style définitivement Carrère, le livre est unique, de par les thèmes qu'il traite, et de la façon de les aborder. Les textes fondateurs et l'histoire du christianisme deviennent accessibles à tous, par ce roman à la prétention universelle. Le travail d'enquête qui est effectué est nécessaire, et doit être raconté. Il est par ailleurs extrêmement intéressant, parce que le matériau sur lequel il s'appuie est particulièrement rocambolesque et riche.
Carrère s'y promène avec aisance, et je crois que nul autre que lui ne saurait rendre si appréhensibles les événements qui se sont déroulés, et même ceux dont on est pas certains qu'ils se soient déroulés. Nul autre que lui ne saurait le faire avec douceur et sans emphase, ni exagération, et avec un humour parfois acide. Nul autre que Carrère et son procédé d'écriture si particulier ne pourrait parler de Saint Paul, puis de pornographie au paragraphe suivant, sans que cela soit considéré comme dramatiquement incongru ou insultant.
Un livre définitivement brillant.