Bled Ruiner
Encore un verre. Au coeur de la crasse du Whistlin' Dick, des rangées de péquenauds abrutissent les derniers souvenirs hagards des jours passés dans un torrent d'alcool. Ils tentent de noyer sous un...
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le 5 août 2016
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John Kaltenbrunner, un enfant de Baker, en butte à toutes les vexations est au fil des ans animé par une rancoeur de plus en plus tenace. Comment John se vengera-t-il de la communauté qui l'a exclu et spolié ? Jusqu'où des années de désespoir silencieux peuvent-elles conduire un être en apparence raisonnable ?
Le seigneur des porcheries (Lord of the Barnyard: Killing the Fatted Calf and Arming the Aware in the Corn Belt) est un roman dramatique américain sorti chez Gallimard en 1999. Il s'agit du premier roman de son auteur Tristan Egolf qui se suicida à l'âge de 33 ans.
John Kaltenbrunner, orphelin de père, navigue entre la modeste maison familiale et l'école où il est le souffre douleur de nombre de ses co religionnaires. Elevé dans le souvenir d'un père brillant qu'il n'a pas connu, disparu prématurément dans des circonstances dramatiques et dont il finira par découvrir la vraie nature, le jeune John est inventif, travailleur et plein d'ambitions pour développer la demeure familiale et ce qu'elle offre comme potentiel, notamment en matière d'activités agricoles et d'élevage.
Si un individu parmi cinquante devait se faire chier dessus par un vol
de mouettes, ce serait John, à chaque fois, sans exception. Personne
n’avait un don pareil pour se trouver là où il ne fallait pas.
Hélas, frappé à de nombreuses reprises par le destin, le jeune John verra tous ses projets s'écrouler les uns après les autres, en butte à l'hostilité chronique des rednecks bêtes et méchants de Baker, petite ville américaine de la région du Corn belt et même des éléments qui détruiront la petite propriété familiale lors d'une tornade mémorable. Sa mère s'enfonce dans la maladie et il apprend incidemment que son père n'était pas réellement le paternel modèle qu'il avait imaginé. Broyé par un système injuste, John se retrouve matériellement complètement dépouillé, en proie à la paranoia et à une saine colère, la colère des justes, pour laquelle il finira par déclarer: "Il est temps d'armer les justes et de tuer le veau gras."
Il considéra toujours les harpies comme étant d'abord des nécrophiles
pathologiques, et ensuite des racketteuses évangéliques.
A l'issue d'un exil de 3 ans, John Kaltenbrunner revient à Baker où tout le monde l'a oublié. Il élabore un plan qui va plonger la ville responsable de toutes ses avanies dans le chaos. John est engagé parmi un contingent de 7 éboueurs, dont le fidèle Wilbur, un homme sur lequel le sort s'est également acharné mais aussi le seul personnage lumineux de ce roman forgé dans les ténèbres de l'imagination de son auteur. Ceux-ci deviendront ses fidèles amis dans l'entreprise de nettoyage des ordures sous la coupe d'un patron tyrannique. L'équipe, dont John prend le leadership, va déclencher une grève illimitée du ramassage des ordures qui va plonger la ville dans le chaos. Baker se transforme, petit à petit, en cloaque. Les sacs poubelles s'amoncellent devant les propriétés, les espèces animales charognardes (rats, coyotes...) se nourrissant de rebuts investissent la ville qui se transforme en enfer pestilentiel. Les habitants prennent les armes pour chasser les espèces animales parasites et en viennent aux mains.
La grève avait amené les ordures, les ordures avaient amené les
asticots, les asticots avaient amené les rats, les rats avaient amené
les chiens, les chiens avaient amené l'attrapeur de chiens,
l'attrapeur de chiens avait rempli la fourrière, la fourrière avait
débordé, les chiens avaient été piqués, leurs corps avaient rempli des
sacs, et les sacs avaient atterri dans les rues, amenant plus de
mouches, etc., ad infinitum...C'était une impasse complète, dit-il. Et
il ne semblait pas y avoir de solution en vue.
Même les "rats des rivières", rebuts humains exilés de Baker, reviennent hanter les faubourgs de la ville...
L'histoire se termine en triste apothéose lors d'une pathétique rencontre de basket ball opposant Baker à Pottville, la ville voisine, l'occasion pour Baker de subir une nouvelle humiliation sportive, de déclencher une nouvelle bagarre générale, de voir l'appareil administratif sombrer dans l'impéritie absolue avant de déboucher sur l'issue fatale et douloureuse du récit. Dans sa croisade vengeresse et bien que parti de rien, John aura pourtant réussi a faire mieux que son père, bien mieux introduit socialement, séducteur impénitent et mythomane compulsif, qui, lui aussi , s'apprêtait à réaliser une opération de sabotage d'une exploitation minière lorsqu'il fut éliminé.
Véritable manifeste nihiliste et révélateur de toutes les bassesses humaines, Le seigneur des porcheries est un brûlot de misanthropie , riche et précis sur le plan narratif (Le livre mérite à mon sens plusieurs lectures), qui appelle de nombreux éloges, il réussit même parfois à être férocement drôle (Scène du siège de l'hôtel où John est retranché dans sa chambre où tout vole en éclats...). Tous ceux qui ont été victimes à des degrés divers d'injustices ou de harcèlement dans le monde réel comprendront d'autant mieux les mesures radicales de rétorsion de John Kaltenbrunner contre ceux qui l'ont brimé par le passé. On ne peut rester insensible devant la vie fracassée de ce personnage de fiction, transformé par la vie en cavalier de l'Apocalypse, dont le destin dramatique inéluctable est profondément émouvant.
Cette empathie communicative pour John Kaltenbrunner, on la doit bien entendu à Tristan Egolf. Autant il décrit Kaltenbrunner avec admiration et compassion, autant ses opposants lui inspirent une détestation mêlée de mépris.
Mon intime conviction est que cette fiction qui "atomise" le rêve américain est transposable, à différents degrés, partout dans le monde: l'Enfer est au coin de la rue et n'importe quel bipède, même avec un Q.I limité, peut parfois déployer des "trésors d'ingéniosité" pour transformer la vie de son prochain en Enfer.
Quant à la vie, on mesure avec le temps combien elle se révèle souvent bien injuste.
Nous étions des bêtes puantes et devions être traités comme tels.
Kunstler nous le répétait soir après soir. Nous l’entendions dans les
bars, de la part des rats d’usine, des types du porc-frites, et nous
n’étions pas les derniers à nous le répéter. C’était devenu
proverbial, et l’acceptation de cette vérité s’était accompagnée de ce
sentiment de libération, de délivrance, d’extase même, que connaît
celui qui s’est fait baiser au-delà de tout espoir.
Ma note: 9/10
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Créée
le 20 déc. 2022
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