Le Talon de fer par Pelomar
Arrivé à un tiers du bouquin, mon avis sur "Le Talon de Fer" était déjà plus ou moins forgé: l'oeuvre de Jack London pouvait se résumer en un pamphlet socialiste, écrit habilement en dépeignant un charismatique leader de la classe ouvrière écrasant de ses théories imparables ses pitoyables adversaires capitalistes. Toute la première partie du bouquin consiste en effet en une suite de joutes verbales entre Ernest "Che" Everhard et une suite de représentants de la classe capitaliste: gros industriels, religieux ou petits commerçants. Systématiquement en infériorité numérique, l'ami Ernest fait pourtant toujours éclater au grand jour les paradoxes du libéralisme sauvage, mettant ses adversaires face à leurs contradictions pour mieux présenter l'inévitabilité de l'avènement du socialisme. C'est beau, c'est grand, sonnez hautbois et résonnez musettes, les capitalistes ne savent que répondre face à la puissante diatribe d'Ernest et finissent toujours en larmes, tapant du pied et réclamant leur maman. Marx, fuck yeah.
Autant dire que j'étais pas spécialement emballé (même si je reconnais le brio avec lequel est écrit cette première partie: même avec un siècle de recul et une certaine connaissance des théories socialistes et libérales, c'est presque convaincant), et je commençais un peu à flipper que le bouquin ne consiste qu'en ça.
Ah oui, il convient de noter: "Le Talon de Fer" a été publié en 1908. Si si, c'est important.
Sauf que bien sûr, ça ne consiste pas qu'en ça. Et passé cette partie un peu lourde mais nécessaire de Théorie Marxiste A l'Usage Des Gros Noobs, le récit finit par décoller, et là ça devient absolument grandiose. London nous conte le développement du Parti Socialiste aux Etats-Unis, ses volontés de révolution -d'abord par les urnes, plus tard par les armes-, et conjointement l'imposition par la classe capitaliste d'une dictature fasciste, vue par cette dernière comme l'unique moyen d'empêcher la prise de pouvoir de la classe ouvrière. On a droit à un récit politique, mâtiné avec légèreté mais brio de dystopie, mais surtout à une formidable histoire de révolte tragique (tragique puisque, comme indiqué dans l'introduction, la révolution socialiste raconté dans le livre échoue lamentablement) : sabotages, agents secrets, formation chez les deux belligérants d'escadrons de la mort destinés à trouver et exécuter les traîtres... tout y est, c'est haletant, passionnant. Le final est aussi incroyable que frustrant et même si on en voudrait plus, force est de reconnaître que le récit se termine au bon moment. Fantastique lecture.
*NB: J'ai quand même un regret: l'ayant lu sur livre électronique, je n'ai pas pu le lire les notes de bas de page au fur et à mesure du récit, et j'ai du mal les farcir en une seule bloc à la toute fin. C'est vraiment dommage parce qu'elle sont passionnantes, contribuent à forger l'univers au-delà de la période chronologique du récit et racontent des anecdotes qui renforcent la crédibilité du tout.
*NB2: Et pas besoin d'adhérer aux théories du bouquin pour apprécier la lecture. Forcément, un jeune idéaliste encarté à la LCR doit avoir un véritable orgasme en le lisant, mais ça dépasse laaaaaarrgement ce cadre.
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