Cette dystopie visionnaire rappelle "Le Peuple de l'abîme", publié en 1903, dans sa description de la masse prolétarienne et annonce "Martin Eden" (1909) par la figure d'un chef charismatique de la révolution socialiste, Ernest Everhard, dont tombe amoureuse une bourgeoise capitaliste. Dans ces pages, nous lisons donc le journal d'Avis Everhard, femme d'Ernest, écrit entre 1912 et 1932, date de l'exécution de son mari. Il a été découvert au 24e siècle et annoté par un historien, après 7 siècles de domination du "Talon de fer", surnom de la répression de l'oligarchie suite à la révolution socialiste contée dans ces Mémoires. Le procédé narratif n'est pas sans rappeler celui utilisé dans La Servante écarlate.
Ernest est présenté comme un redoutable dialecticien qui met KO tous ses opposants capitalistes, qui s'empêtrent dans leurs contradictions et ne se méfient pas de ses airs bonhommes, ce qui produit des scènes savoureuses. Le Grand Capital vacillant, tous les soutiens d'Everhard seront mis au ban de la société, à commencer par son beau-père, un universitaire libéral (il sera congédié, puis exproprié) ainsi que l'évêque Morehouse, à qui il a ouvert les yeux sur la misère et l'esclavage des enfants, c'est-à-dire sur l'éloignement de l'Eglise du message originel du Christ. Il sera enfermé et pris pour fou. Il y a aussi la figure touchante de Jackson, un ouvrier qui a eu le bras broyé par une machine et qui perdra son procès... Ce roman atypique préfigure les régimes fascistes des années 1930 par le tableau sans concession des sociétés industrielles américaines. Le Talon de fer écrase la révolte socialiste en manipulant la presse, fait pression sur la justice, arme des milices, paye des briseurs de grèves et place ses espions partout. Si je n'ai pas appris énormément de choses, on peut voir ce roman comme une vulgarisation des thèses marxistes sur fond d'une histoire d'amour, ou l'inverse, c'est à vous de voir...