L’une des qualités pour lesquelles les romans d’anticipations sont reconnus sur ce site, c’est leur supposée capacité à prédire le futur. Un bon roman d’anticipation serait celui qui aurait vu avec le plus d’acuité notre société (post) moderne. Mais selon moi cette idée réduit l’imaginaire et le riche genre de la dystopie et de l’utopie à une simple fonction de montrer du doigt les bons qui auraient vu juste et les mauvais qui auraient eu tort. Pour comprendre la dystopie il faut avoir en tête que c’est avant tout un reflet de l’époque d’une part mais aussi des valeurs de l’écrivain, de la classe sociale auquel il appartient. Par exemple l’utopie platonicienne de La République est très inspirée par la vision qu’avaient les aristocrates athéniens de la démocratie spartiate.
Ce qui est intéressant dans Le Talon de Fer c’est son côté dystopique mélangé à celui d’une utopie communiste. Ernest va réussir à donner corps aux idées marxistes sans que ça ne soit incompréhensible pour le profane qui n’a pas une ceinture noir troisième dan en socialisme. J’ai vu une critique qui pointait du doigt que London aurait désigné des « gentils » et des « méchants », ce qui me semble faux, puisque en bon marxiste Ernest, l’incarnation des idées de l’auteur, n’en juge pas selon des critères moraux mais selon des lois sociologiques (on débattra de la pertinence de l’idée de loi sociologique ailleurs). La dystopie pour London c’est le règne sans partage des plus puissants et quand on voit les chiffres de l’accroissement de la fortune des milliardaires français (https://www.marianne.net/economie/78-milliards-en-2019-les-milliardaires-qui-s-enrichissent-le-plus-sont-les-francais) et les réformes brutales entreprises par ce cher président Macron, on peut se demander si nous aussi n’allons pas vers un Talon de Fer soft.