Faire un exposé marxiste précédant l'avènement d'une dystopie fasciste en version accélérée semblait déjà un exercice périlleux, mais potentiellement intéressant. Le faire via le manuscrit d'une jeune bourgeoise devenue socialiste accentuait les deux possibilités. Malheureusement, l'intérêt est assez limité, et le péril bien présent.
Une bonne moitié du roman n'est en réalité qu'une apologie d'Ernest Everhard, leader socialiste, à travers les yeux de sa compagne, Avis, dont la dévotion bigote à son égard est aussi sexiste que ridicule. On pourrait répliquer en affirmant que c'est assez vraisemblable malgré tout, ou encore que la seconde partie du roman lui donne un rôle légèrement plus intéressant, ce qui est vrai, mais Jack London ne semble pas vraiment faire de ces défauts évidents un point critique de son œuvre. Au contraire, j'ai plutôt l'impression qu'il n'y a là rien de vraiment dérangeant à ses yeux.
Ainsi, le personnage d'Avis sert à faire les louanges d'un virtuose du débat et d'un révolutionnaire modèle. Ernest remporte toutes les joutes, et parvient même à convaincre le père d'Avis, un bourgeois rentier, ou un évêque local de rejoindre la cause. Bien que ces longues discussions aient l'intérêt d'exposer la théorie marxiste, elles paraissent peu vraisemblables et nourrissent le fantasme d'un leader charismatique capable de tous les exploits.
Longuement étayée en début d'ouvrage, la théorie de la lutte des classes est progressivement adjointe d'exemples pratiques, puis, sur la fin, prend la forme sanglante d'un affrontement guerrier d'une brutalité saisissante. Si Jack London parvient bien à nous faire ressentir l'atrocité des combats, la tension d'une vie de rebelle en cavale, ou encore la passion politique d'une cause ardemment défendue, je pense que la forme qu'il a choisi n'est pas la bonne.
Les multiples démonstrations oratoires d'Ernest contribuent à forger le mythe viriliste d'un personnage fort en gueule, qui saurait à lui seul démonter les théories adverses, ce qui, inévitablement, séduit Avis. Par ailleurs, bien qu'adhérant à une bonne partie de ses propos, je peux assez aisément m'imaginer le repoussoir que cela doit être pour quelqu'un qui ne serait pas un·e socialiste convaincu·e. Et c'est bien dommage car le marxisme, le communisme et le socialisme mérite bien meilleur porte voix que cet Ernest caricatural.
Ensuite, la rapidité avec laquelle Jack London évoque la montée en puissance des socialistes, leur infiltration dans les groupes adverses, et la mise en place de différents stratagèmes guerriers renforce l'idée d'un roman lacunaire et qui ne semble qu'être un prétexte pour exposer les théories marxistes que l'on pourra pourtant trouver plus intéressantes sous d'autres formes. À commencer par les ouvrages de Marx tout simplement.
Enfin, l'idée de faire des notes de bas de page avec plusieurs siècles de décalage me paraissait plutôt intéressante. Notamment pour ajouter des éléments de contexte et quelques passages ironiques sur l'absurdité du système capitaliste. Mais force est de constater que certaines notes assomment par des détails assez peu utiles.
Et c'est un exemple assez symbolique d'un livre qui, malgré quelques bonnes idées, se perd dans de longs monologues grandiloquents et des répétitions évitables sur le caractère néfaste des oligarques, donnant l'impression d'assister à un brouillon de fiction marxiste teintée de virilisme.
L'affreuse préface réac de Raymond Jean me fait également enlever un demi-point mais il doit être possible de trouver des éditions qui n'en font pas mention.
5,5/10