Simpliste mais clairvoyant
Les dialogues prêtés aux personnages paraissent, dès les premiers chapitres, bien trop simplistes, mais... la psychologie de la narratrice est tout en retenue et respecte, me semble-t-il, les émotions féminines sans les caricaturer alors que le livre a été écrit en 1908 (une époque à laquelle les attentes et les états d'âmes des femmes n'étaient guère pris en considération).
Je rapproche ce respect de celui de James Joyce pour la femme de Bloom dans Ulysse, et le place en opposition avec les fantasmes masculins qui alimentent les portraits de femmes dessinés par Gustave Flaubert dans Madame Bovary ou, plus récemment, par Gabriel Garcia Marquez dans Cent ans de solitude.
Si le caractère féminin de la narratrice ne gêne pas le lecteur, il lui permet de s'attacher à la matière de l'ouvrage, bien que les caricatures psychologiques d'autres personnages soient inconfortables.
Néanmoins, l'auteur a doté son ouvrage de fiction, d'un dispositif des notes qui lui confère un effet moderne et confirme le côté didactique du livre.
L'analyse sociale et politique est une sorte de vulgate du Capitalisme de Karl Marx visant l'efficience de la lecture des deux principaux thèmes abordés :
- l'aspect historique (surtout au XXIe siècle) est indéniable et permet de revisiter notre connaissance du début de XXe siècle, notamment aux États-Unis qui semblent, à l'époque, tout aussi près de verser dans la révolution communiste que la Russie.
- l'aspect anticipation ou prédiction des conséquences des injustices sociales et leur incroyable clairvoyance (conflit entre les États-Unis et l'Allemagne ou l'abdication de l'empereur Guillaume II, onze avant son avènement, en raison des mouvements ouvriers), bien que les virages annoncés (souhaités, devrait-on dire) pour éviter la première guerre mondiale (pacifisme international) ne se soient pas réalisés (suffisamment jugulés par les pouvoirs en place qui, dans la fiction, s'étaient laissés surprendre par les compagnons de route de Jaurès).
L'œuvre de Jack London nous offre aussi la possibilité de relire l'histoire de l'ensemble du XXe siècle et de comprendre les montées des fascismes en Europe comme autant de rejetons de l'oligarchie (déjà mondialisée), les raisons des alliances (apparemment paradoxales) de l'après seconde guerre mondiale, la guerre froide, la dictature du prolétariat (ré-éducation forcée) et ses désastreuses conséquences, etc.
Un livre à placer aux côtés de ceux de George Orwell...
Malheureusement, plus d'un siècle après la publication du Talon de fer, la lecture de La violence des riches (2013), de Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon, ou l'écoute de l'émission hebdomadaire de Ruth Stégassy sur France Culture (par exemple, celle relative au projet Iter : http://tinyurl.com/projet-iter) ne laisse aucun doute quant à la justesse de la tirade de Warren Buffett : « la lutte des classes existe et ce sont les riches qui sont en train de la gagner ».
À moins que...