[Science Fiction (Anticipation) / Thriller]


Le simulacre est, et restera une thématique incontournable de la science-fiction, bien que peu soient connus. Et si, vous n'avez jamais entendu parler du "Temps Désarticulé" du génie, Philip K. Dick vous ne pouvez pas ne pas connaître son adaptation officielle "The Truman Show" de Peter Weir.
Comme toujours avec Dick, nous plongeons ici une fois de plus pour une baignade en eaux troubles au beau milieu des pensées ténébreuses et incomprises qui le tourmentaient continuellement de son vivant. Ce qui se sait peu, sauf peut-être pour les fans de L'Exégèse, ou la Trilogie Divine, c'est que ce roman autant angoissant que paranoïaque est une illustration des ressentiments et pensées de son auteur, pour rattacher au film, Philip K. Dick, se pensait dans le monde de Truman Burbank.


Mais assez parlé de l'adaptation, parlons un peu du roman.
L'histoire prend place dans une petite ville sans nom, perdu dans une ambiance des années fin 50 où tout se passe pour le mieux dans le meilleur des mondes, on y découvre des personnages tout ce qu'il y a de plus normaux, menant leurs petites vies penard dans le cercle incassable de la routine, tous, sauf peut-être un, Ragle Gumm, qui lui vit dans une toute autre routine, il passe ses journées chez lui, à essayer par des calculs, des études périlleuses et surtout par instinct à trouver un "petit bonhomme vert" caché dans le code mathématique d'un jeu, une sorte de loterie, dont Ragle est le champion incontesté.


Rare sont les romans aussi entraînant à lire alors que l'action première ne raconte que la vie de personnes banales dans leurs tâches quotidiennes, un tour de maître de celui que j'aime appeler le Géant. Mais, comme toujours chez lui, les choses vont trop bien, et tout commence par une photo, celle de Marilyn Monroe, découverte dans un vieux magasine ramené par le neuveu de Ragle lors d'un après-midi de jeux dans les anciennes ruines de la ville, la star planétaire se montre alors totalement inconnue au yeux de la famille du personnage principal.
Comment est-ce possible? Comment ne pas connaître celle que le magasine présente comme "LA" star?
Très vite Ragle, déjà emproi au doute à cause de certaines "anomalies" qu'il a ou que sa famille semble avoir vécue, se lance alors dans une quête de vérité.
L'auteur joue alors avec brio sur le monologue mental, créant au fur et à mesure que les éléments inquiétants de l'histoire se mettent en place, une sensation renforcent ce qu'un psy ou une personne banale classifierait de "Paranoïa", ce que Phil Dick appelait lui, la vérité.


Si le héros voit tout ça au début sous l'œil de la dépression, se pensant surmené et dépité de sa routine, il se résonne très vite en poussant les limites de l'espace dans lequel il est placé.
Rien n'est alors plus tenant à la lecture que d'être aussi perdu que le héros, de ne pas savoir où l'on en est. S'enchaînent ensuite ses aventures, ce que j'appelle, ses tentatives d'évasions. Cherchant à tout prix à se prouver qu'il n'est pas fou, il s'aperçoit rapidement qu'à première vue il est réellement sous surveillance, notamment avec l'une des scènes les plus angoissantes du livre, selon moi, celle où, alors qu'il bidouille la radio qu'il a fabriqué avec son neveu, il arrive à capter le signal venant de la radio des avions survolant continuellement la maison, et où les pilotes discutent de lui sans se rendre compte qu'ils sont découvert (scène reprise formidablement bien dans le Truman Show, au passage).
Mais, Ragle doute encore, car son marionnettiste n'est pas un con, en plus de le manipuler dans son quotidien, il manipule à une certaine échelle sa personnalité, en effet grâce au jeu "Où Sera le Petit Homme Vert la Prochaine Fois?", il a doté Ragle d'une réputation, d'une célébrité s'étendant dans toute la ville et même, en tout cas c'est ce qu'il pense, dans tout le pays. Le doute est alors amené dans l'esprit de Ragle se disant que sa célébrité fait de lui une personne égocentrique, ce qui à long terme, aurait pu causer sa paranoïa.


Aprés quelques chapitres, tous aussi passionnants les uns que les autres, on en vient enfin à comprendre le simulacre dissimulé sous les yeux de Gumm, la manipulation de masse, la canalisation, la greffe de mémoire, les jeux d'acteurs, etc... autant d'éléments forment à la fois, la mythologie Philip K. Dick que l'univers du Temps Désarticulé, qui, pour rappel, prenait pourtant place dans un monde ressemblant fortement au notre, et qui, d'un coup, traverse un portail pour nous montrer que la réalité n'est pas celle-là, quelle est bien différente, que le monde réel n'est pas celui de Ragle, mais celui qui le contrôle dans tous les aspects de son existence terrestre.
Ce parallélisme des versions de la réalité subjective, n'est alors pas sans rappeler bon nombre d'autres œuvres du Géant telles que Le Maître du Haut Château ou encore Ubik, où, encore une fois se mêlent philosophie, ésotérisme, sociologie, technologie et science pour former un tout se présentant comme une mise en garde, pas seulement sur le plan de l'intrigue du roman, mais dans le monde dans lequel nous évoluons chaques jours, n'y avez-vous jamais trouvé de fuites?


Pour finir, je parlerai quand même de la fin du roman, qui, aprés un merveilleux moment de lecture, m'a légèrement refroidie, notamment par sa chute politique, pas gênante en elle-même, mais décevante sur le plan du personnage de Ragle, qui ne cherche pas plus loin qu'à reprendre sa vie réelle, celle qu'il avait avant le simulacre. Bien que ce bémol, n'engageant que moi bien sûr, m'a fait un peu moins aimer le roman que prévu, il n'en reste pas moins génial, de la SF d'anticipation grandement menée, littérairement parfaite et juste passionnante à suivre sur le plan de la lecture littérale.


VR_

ubik48
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le 19 août 2016

Critique lue 325 fois

ubik48

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