Achevé le 27 février, transfiguré par un soleil translucide.
À partir du chapitre sur La mise en scène et la métaphysique, c'est chef-d'oeuvre. Un peu plus de mal avec les premiers chapitres (c'est assez répétitif) mais on attend des sommets théoriques avec le second manifeste du Théâtre de la Cruauté.
Dans Le Théâtre et la Peste : "Nous ne voyons pas que la vie telle qu'elle est et telle qu'on nous l'a faite offre beaucoup de sujets d'exaltation. Il semble que par la peste et collectivement un gigantesque abcès, tant moral que social, se vide ; et de même que la peste, le théâtre est fait pour vider collectivement des abcès."
Dans La mise en scène et la métaphysique : "Faire la métaphysique du langage articulé, c'est faire servir le langage à exprimer ce qu'il n'exprime pas d'habitude : c'est s'en servir d'une façon nouvelle, exceptionnelle, et inaccoutumée, c'est lui rendre ses possibilités d'ébranlement physique, c'est le diviser et le répartir activement dans l'espace, c'est prendre les intonations d'une manière concrète absolue et leur restituer le pouvoir qu'elles auraient de déchirer et de manifester réellement quelque chose, c'est se retourner contre le langage et ses sources bassement utilitaires, on pourrait dire alimentaires, contre ses origines de bête traquée, c'est enfin considérer le langage sous la forme de l'Incantation."
Dans Théâtre oriental et théâtre occidental (sur les relations entre le monde physique et les états profonds de la pensée, il s'auto-cite) : "Tout vrai sentiment est en réalité intraduisible. L'exprimer c'est le trahir. Mais le traduire c'est le dissimuler. L'expression vraie cache ce qu'elle manifeste. Elle oppose l'esprit au vide réel de la nature, en créant par réaction une sorte de plein dans la pensée. (...) C'est ainsi que la vraie beauté ne nous frappe jamais directement. Et qu'un soleil couchant est beau à cause de tout ce qu'il nous fait perdre."
Dans En finir avec avec les chefs-d'œuvre : "Laissons aux pions les critiques de textes, aux esthètes les critiques de formes, et reconnaissons que ce qui a été dit n'est plus à dire ; qu'une expression ne vaut pas deux fois, ne vit pas deux fois ; que toute parole prononcée est morte et n'agit qu'au moment où elle est prononcée, qu'une forme employée ne sert plus et n'invite qu'à en rechercher une autre, et que le théâtre est le seul endroit au monde où un geste fait ne se recommence pas deux fois." Et plus loin, il écrit que "cette idolâtrie des chefs-d'œuvre fixés (...) est un des aspects du conformisme bourgeois."
Dans une lettre du 14 novembre 1932 à Jean Paulhan, il précise la notion de cruauté : "J'emploie le mot de cruauté dans le sens d'appétit de vie, de rigueur cosmique et de nécessité implacable, dans le sens gnostique de tourbillon de vie qui dévore les ténèbres, dans le sens de cette douleur hors de la nécessité inéluctable de laquelle la vie ne saurait s'exercer ; le bien est voulu, il est le résultat d'un acte, le mal est permanent."
Une autre lettre à J.P. du 28 septembre 1932 : "Le secret du théâtre dans l'espace c'est la dissonance, le décalage des timbres, et le désenchaînement dialectique de l'expression."
Lettre du 9 novembre 1932 à J.P. : J'ai donc dit "cruauté, comme j'aurais dit "vie" ou comme j'aurais dit "nécessité", parce que je veux indiquer surtout que pour moi le théâtre est acte et émanation perpétuelle, qu'il n'y a en lui rien de figé, que je l'assimile à un acte vrai, donc vivant, donc magique."
Dans Un athlétisme affectif : "La croyance en une matérialité fluidique de l'âme est indispensable au métier de l'acteur. Savoir qu'une passion est de la matière, qu'elle est sujette aux fluctuations plastiques de la matière, donne sur les passions un empire qui étend notre souveraineté."
Dans Le théâtre de Séraphin (dernière phrase, comme une sentence) : "Et je veux avec le hiéroglyphe d'un souffle retrouver une idée du théâtre sacré."