Martyre, c'est sourire à Dieu
Une pièce un peu déconcertante, lorsqu'on est habitué-e aux canons classiques (mais le Saint Genest de Rotrou est plus "baroque" que classique, à proprement parler, alors...). En général j'aime bien les beaux alexandrins qui coulent : ceux de Rotrou ne valent pas ceux de Racine, mais enfin ça va quand même, ça reste très agréable. Quelques inoubliables morceaux de bravoure, que j'adorerais voir en scène, comme la première apparition divine à Genest (pendant la répétition).
Pour le reste, je suis très reconnaissant à Rotrou de m'avoir fait réfléchir. Plus j'avançais dans la pièce, plus je me disais qu'il serait sans doute très facile à un metteur en scène moderne d'inverser complètement l'axiologie de l'oeuvre, et de transformer Genest en fanatique à moitié fou. C'est que contrairement au Polyeucte de Corneille (un autre héros chrétien de tragédie), le Genest de Rotrou n'est pas du tout "rationaliste" ; il n'a pas tellement d'"argument" en bonne et due forme pour convaincre qui que ce soit ; et de fait, contrairement à Polyeucte, il ne convertit personne (mais c'est, paraît-il, parce que Rotrou est "augustinien" et qu'il croit, si j'ai bien compris, à l'arbitraire de la grâce...). C'est presque décevant, d'ailleurs : la pièce ne respecte pas tellement l'unité d'action, vu que le premier acte est très mal relié à la suite (c'est la faute à Lope de Vega, dont l'auteur s'est inspiré) ; en bons post-classiques que nous sommes tou-te-s, on s'attend sur la fin à ce que le personnage de Valérie interfère d'une manière ou d'une autre avec l'intrigue de Genest, et on se dit qu'elle va être touchée par la grâce et convertie. Eh ben non, même pas.Le premier acte reste désespérément bizarre, et Genest désespérément impuissant à faire des émules. Apologie de la religion chrétienne, cette pièce ? Sans doute, si l'on veut, mais en l'absence de toute justification rationnelle et de toute efficacité sur autrui, l'empressement de Genest à aller se faire broyer les os ressemble bien, pour une sensibilité moderne, à une espèce de psychose... Et ce sourire qu'il garde aux lèvres pour aller affronter la mort et les tourments excuse presque Dioclétien de les lui infliger, du reste.
En somme, une pièce non seulement agréable à lire, mais en outre très intéressante et stimulante sur le plan de l'histoire des idées religieuses, de la dramaturgie, etc.
Je vous conseille, quitte à choisir, l'édition "GF dossiers" : elle n'est pas impeccable du point de vue de l'établissement du texte (quelques alexandrins rendus faux par des coquilles...), mais le dossier est très fourni et très intéressant.