C’est le troisième roman que je lis de Boualem Sansal et plus je le découvre, plus j’ai la certitude que cet auteur fait partie des écrivains essentiels de notre époque. Ces derniers sont après tout faciles à reconnaître : regard lucide sur le monde, liberté intellectuelle, le tout allié à une forme souvent originale, d’une originalité qui n’exclut pas la justesse d’un regard éclairant sur ce qu’on ne voyait pas et qui était pourtant devant nous.
Dans ce roman à l’écriture plus accessible que Le serment des barbares, l’écrivain algérien poursuit son exploration des extrémismes. Ici, le nazisme rencontre l’islamisme intégriste avec lequel il partage beaucoup de caractéristiques. Tous les totalitarismes se ressemblent comme se ressemblent le communisme et le nazisme. Seule l’Histoire et la culture du pays dans lequel ils s’implantent diffèrent : le fond est le même.
Les deux journaux des frères Schiller, Rachel, l’intellectuel à la vie bien réglée, et Malrich, le banlieusard inculte au grand cœur brut et courageux, s’entremêlent pour suivre l’évolution de ces enfants d’un ingénieur nazi réfugié dans un village algérien. Auréolé de respectabilité, ce dernier sera massacré avec sa femme par des islamistes et enterré sous un nom d’emprunt. Cet événement va déclencher la quête de Rachel qui cherchera à comprendre qui était son père.
Tout au long de cette quête qui deviendra un chemin de croix, Rachel ne comprendra progressivement qu’un point, quoique essentiel : les enfants héritent de bien autre chose que des gènes et de l’histoire de leurs parents ; ils doivent parfois assumer à leur place, demander ce pardon que le père n’a pas su demander et peut-être payer de leur vie le mal commis, dans un geste unique pour la victime et pour le bourreau.
Après une visite de Rachel à Auschwitz qui porte à son acmé cette prise de conscience, on suivra avec émotion l’évolution affective et intellectuelle du simple Malrich se révélant à travers un style de plus en plus maîtrisé : un temps tenté par l’extrémisme islamique qui installe progressivement son pouvoir dans les banlieues françaises, il comprendra le lien de parenté intime entre ces meurtriers fanatiques qui rêvent de détruire la France et son propre passé – qui est aussi le nôtre.
Un beau roman qui donne autant à l’esprit qu’au cœur.
Il s'appuie sur des faits historiques.