Il semble que Douglas Preston et Lincoln Child s'activent ensemble depuis de nombreuses années à construire une œuvre romanesque de polars contemporains autour d'un vieil inspecteur du FBI fortuné et diablement indépendant. Je découvre avec cet épais volume l'inspecteur Aloysius Pendergast et son comparse récurrent, le sergent Vincent D'Agosta, et la rencontre est saisissante de réalisme et de suspense. Crimes incendiaires mis en scène avec un machiavélisme quasi surnaturel, l'enquête nous promène dans
les hautes sphères de l'art
et de ces notables qui, avides vautours en indolents pique-assiettes, y gravitent.
Agnès renifla. Non seulement il faisait anormalement chaud, mais il
flottait autour d'elle une odeur étrange. On aurait dit un rôti laissé
trop longtemps dans le four. Elle se dirigea vers la cuisine qu'elle
trouva vide. Des assiettes pleines de restes étaient empilées un peu
partout dans un désordre indescriptible, mais l'odeur ne venait pas de
là.
Introduction grillée : les auteurs nous accompagnent jusqu'à la découverte, ignoble, horrible, du premier corps calciné d'une série de meurtres trop complexes et trop étranges pour être ce qu'ils paraissent : d'inexplicables manifestations embrasées du Malin. Décors confortables ou sombres et menaçants, le récit nous plonge dans le New York du début du siècle avant de nous emmener flâner en Italie, autour de Florence : appartements luxueux, rues vides et dangereuses, châteaux immenses et dépeuplés,
le luxe se confronte aux obscurités
pour mieux mettre en évidence les perversions sordides des oisifs. Les personnages qui peuplent le texte suintent d'un réalisme misanthrope sans illusion : hormis les héros et quelques-unes de leurs connaissances – droits et honnêtes à l'effort – la population cache secrets et vices avec férocité. Alors évidemment le lecteur entraperçoit parfois ses propres travers mais la quête patiente et intense de la vérité nous raccroche tout de même du côté de ceux qui gèrent tant bien que mal leurs angoisses et leurs travers, ainsi que les fantômes de leurs espoirs déçus, sous la persévérance et l'action, d'une implication appliquée.
Le mal n'a rien de mystérieux, monsieur Pendergast. Il rôde en
permanence autour de nous, j'en ai la preuve quotidienne, mais je me
refuse à croire que le diable, quelle que soit sa réalité physique,
souhaite attirer notre attention sur ses agissements.
Le flot des mots est dense, l'intrigue compacte prend son temps, laisse l'espace aux existences des deux enquêteurs. Au-delà de l'intrigue centrale, on se passionne pour les absences cachottières de l'inspecteur, reclus en ce manoir délabré qui abrite sa jeune protégée farouche, pour la romance hésitante du sergent de police et de sa collègue baignée de ces réalités fugaces du quotidien qui viennent y ensabler les rouages et de ces irrépressibles doutes qui sont les échos de nos échecs passés. Et si, évidemment, le mystère de l'intrigue tient longtemps la curiosité du lecteur, ce sont bien ces destins investis là qui finalement font le suspense réel.
Le plaisir est là, intense, des meilleurs polars contemporains : personnages entier, mystère travaillé et flatteries du lecteur capable de suivre les intuitions du héros, ainsi que réalisme social aiguisé. Il y a la puissance des deux points de vue exprimés également, la précision notable du changement de vocabulaire entre les deux qui s'accorde à merveille aux caractères différents et complémentaires de l'inspecteur et du sergent. Douglas Preston et Preston Child tissent les toiles avec minutie, et
sous l'ingénierie de la mécanique scénaristique,
peignent avec justesse leurs contemporains, les rouages inaltérables de nos quotidiens emportés. Toute cette musique de l'envie, sournoise, qui tapie aux recoins de nos cœurs, font de nous tous ces diables en puissance, capables du pire pour le confort, souvent superflu, d'un désir à assouvir.
Je ne vous apprendrai rien en vous disant que la profession de
critique autorise le recours à une brutalité verbale qui n'a pas
ordinairement cours dans les rapports dits « civilisés ». Qui
s'autoriserait à dire de vive voix à un peintre que son travail est
d'une parfaite nullité ? Le critique est en revanche libre de le crier
haut et fort au reste du monde tout en faisant croire qu'il s'agit là
d'un véritable devoir moral. Je ne connais pas de profession plus
ignoble que celle de critique. À l'exception peut-être de celle des
médecins chargés d'exécuter les condamnés à mort.