Perdue aux confins du vide sidéral, Arieka est une petite planète qui vit en vase clos, à l’écart de toutes les routes commerciales connues. Les humains y ont pourtant installé une ambassade enclavée dans une des villes de la planète. Mais l’éloignement n’est pas la seule difficulté. En effet, les Ariékans utilisent un langage particulier qui nécessite d’énoncer deux mots simultanément. Seuls les Légats, jumeaux créés et manipulés par la génétique dans ce but, peuvent communiquer avec les habitants de cette planète. Encore plus curieux, il semble le langage des Ariékans soit une expression unique du réel, et qu’ils ne peuvent donc ni verbaliser ni concevoir aucune forme de métaphores, de spéculations ou de mensonges. Cela n’a toutefois pas empêché les relations entre les humains et leurs hôtes de se poursuivre dans une relative harmonie pendant de nombreuses années. Jusqu’à l’arrivée d’un nouveau Légat différent des précédents…


Légationville est un roman très difficilement accessible. Tout d’abord, la thématique principale interroge la nature du langage et son rapport au réel, ce qui est déjà ardu en soi. Ce concept d’une langue, émanant d’un processus darwinien de sélection naturelle, qui se confond avec la pensée et l’expression unique de ce qui est, voilà qui est terriblement original, mais pas aisément compréhensible pour le commun des mortels. Et cette langue n’est pas là pour décorer le récit, elle en constitue le cœur, le moteur et la clé.


Ensuite, l’auteur choisit d’inonder son récit avec un torrent de néologismes qui ne sont jamais expliqués. Ces termes ne sont pas périphériques, ils désignent des concepts, des situations des personnages qui jouent un rôle important dans l’histoire. Rien n’est explicite dans ce récit, et le lecteur doit tout deviner, déduire, supposer, interpréter. En débutant la lecture de ce roman, il faut s’attendre à être complètement désorienté pendant près de cent pages.


Même les extraterrestres de la planète Arieka ne sont jamais décrits. Quelques éléments sont donnés au fil du récit, et le lecteur doit imaginer seul, à partir de ces pièces éparses, l’apparence des extraterrestres. Il en va de même pour le système de navigation interstellaire, ou les relations internes à Légationville. N’espérez pas non plus apprendre quoi que ce soit à propos de la planète, de ses structures politiques ou de sa géographie.


Ces choix délibérés de China Miéville transforment le décryptage de son roman en véritable épreuve pour le lecteur, dont le confort est sacrifié sur l’autel d’un style volontairement obscur. Néanmoins, si on passe le cap des cent premières pages, on finit par distinguer une véritable trame, quelques personnages, on saisit même certaines subtilités de l’intrigue, et on reste finalement avec la sensation d’un roman extrêmement original, exigeant, agaçant parfois, mais qui vaut bien l’effort de lecture.


Nominé au prix Hugo du meilleur roman en 2012, Légationville est une expérience de lecture saisissante, astreignante, et probablement unique.


China Miéville : Légationville – 2011


Originalité : 5/5. Légationville ne ressemble vraiment à rien de connu.


Lisibilité : 1/5. C’est respectable de vouloir que le lecteur fasse un effort, mais transformer son roman en calvaire n’est probablement pas l’idée du siècle.


Diversité : 3/5. Quelques chouettes rebondissements dans une progression plutôt chaotique.


Modernité : 4/5. Le thème principal se réfère aux travaux de certains des plus grands philosophes du XXe siècle, comme Derrida ou Ricoeur.


Cohérence : 3/5. Une oeuvre intellectuellement exigeante et rigoureuse.


Moyenne : 6.4/10.


A conseiller si vous n’avez pas peur de vous prendre la tête, ni de combler les vides par vous-mêmes.


https://olidupsite.wordpress.com/2019/11/28/legationville-china-mieville/

OliDup
6
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le 9 mars 2022

Critique lue 15 fois

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