Que dire de cette oeuvre tellement inégale et pourtant mythique ! En terminant cette lecture, j'étais mitigé. J'avais le sentiment que le livre souffrait (et c'est le cas) de problèmes de rythme : cours de navigation sur l'arrimage, cours de biologie sur les albatros et les pingouins..., d'incohérences : le chien Tigre disparaît du récit sans explication (il n'est ni mort, ni vivant, juste oublié par son auteur), ou encore de raccords grossiers : on a l'impression de lire en fait 3 nouvelles (fugue nocturne sur l'Ariel, épisode du Bricks et chapitre sur l'île avec les indigènes) dont la seule présence d'Arthur Gordon Pym crédibiliserait le fait que c'est la même histoire.
J'ai donc eu ce sentiment d'amertume en refermant ce livre. Je me suis dis : quel dommage de ressentir de la déception sur une oeuvre dont on attendait plus. Et puis, le temps aidant, l'oeuvre de Poe à décanté dans ma tête. Plus j'y réfléchissais, plus je me remémorais des éléments du récit apportant un aspect nouveau qui m'avait échappé. La mystification de certains passages, les multiples interprétations qu'il en ressort et puis son côté culte que les écrivains postérieurs lui ont attribués (Verne, Lovecraft ...) m'ont fait revoir mon jugement.
En me rendant compte des nombreuses exégèses dont Les aventures d'Arthur Gordon Pym a fait l'objet (oedipienne avec la relation à la mer et la mère, littéraire avec la dichotomie du blanc de la page et du noir de l'encre, cosmologique avec les différentes forces du modèle standard...) mais aussi de ses analyses sur la psychologie du double (le doppelgänger d'Arthur) sur le contexte politique de l'époque (confrontation entre l'homme blanc civilisé et l'homme noir sauvage) et à son intemporalité dans la culture (Magritte et son tableau La représentation interdite, où figure un manuscrit du livre), j'ai décidé de pardonner les défauts cités au début de ma critique.
Oui je ne les oublie pas, mais la puissance qui émane de cette oeuvre parvient à balayer d'un revers toutes ces petites imperfections. Ce roman a été écrit en début de carrière, c'est bien normale que Poe fasse des erreurs. Mais le génie de l'homme est déjà bien présent dans cette histoire et c'est bien pour ça que 2 siècles plus tard, on la lit encore !