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M. Elie, en effet, était mauvais, comme son père. Quand il voyait une
affiche : "Vente par autorité de justice", cela lui faisait plaisir ;
quand il lisait dans le journal la nouvelle d’une catastrophe :
"Encore quelques Jeanfoutres de moins !" Sa haine (à cet oisif !) pour
les gens qui prenaient un congé. Sa haine (à ce raté !) pour les gens
qui n’avaient pas réussi. Il pinçait à la dérobée les enfants dans la
cohue des grands magasins, ou bien, assis sur le banc d’un square, il
les laissait d’abord le frôler dans leurs courses, puis soudain
allongeait la jambe et le gosse s’étalait. Mais ce chevalier sans
emploi n’usait du ton de dompteur que lorsqu’il pouvait le faire
impunément ; il ne domptait que les garçons de café, qui ne peuvent
pas répondre, et les chats ; il eût insulté aussi au téléphone, s’il
avait pratiqué cette mécanique, mais de sa vie il ne le fit une seule
fois ; enfin il insultait par lettres.



Pour moi, Henry de Montherlant est un des analystes les plus justes de l'être humain. On peut même dire qu'on a l'impression qu'il balance une cuve d'acide sur une âme et dissèque patiemment tout ce qu'il voit et le décrit avec une extrême justesse, parfois glaçante parce qu'on a des fois la désagréable impression de se voir dans un miroir. On n'oubliera pas de signaler non plus un très grand écrivain qui manie la plume avec maestria, un style aussi riche que fluide avec un sens de l'humour ravageur qui fait mouche à chaque fois.


Les Célibataires nous conte avec les qualités précédemment citées ainsi qu'une bonne dose de cruauté l'histoire de trois vieux garçons issus d'une aristocratie bretonne qui a sérieusement commencé à claquer du bec, Léon de Coantré et son oncle Élie de Coëtquidan, qui n'ont jamais travaillé de leur vie, dont l'air asocial cache en fait une profonde timidité, vivant ensemble dans une maison Boulevard Arago à Paris aux crochets du troisième, Octave, oncle du premier, frère du second, tout aussi médiocre et timide qu'eux mais qui par la grâce d'une bonne relation est devenu riche sans avoir jamais été véritablement un bourreau de travail non plus. Mais voilà, des problèmes d'héritage font que nos deux célibataires doivent prochainement déménager...



Nous l'avons dit et nous le répétons : ce qu'il y a de tragique chez
les anxieux, c'est qu'ils ont toujours raison de l'être.



Des médiocres auxquels on s'attache malgré tout car dans un océan de sarcasmes et de cruauté, il y a toujours des traits émouvants. Et puis, comme dit précédemment, ils nous ressemblent beaucoup plus qu'on ne le voudrait. Par exemple, la partie où l'auteur conte une longue dérive nocturne du personnage de Léon dans la capitale en particulier pour soi-disant partir à la chasse d'une fille, mais sans en avoir le courage ni d'ailleurs la véritable volonté d'en aborder une est troublant de vérité.


Et puis, ce ne sont pas seulement ces trois corniauds, qu'on peut pas s'empêcher d'aimer donc, qui s'en prennent plein la gueule. C'est toute la société, toutes les classes sociales, les gens de la ville, les gens de la campagne, les hommes, les femmes, les vieux, les jeunes... C'est drôle, c'est cruel, c'est triste, c'est juste, Montherlant était vraiment un écrivain de génie...



La véritable tare de Mlle de Bauret, qui était en partie la tare de
son âge, et en partie celle de son époque, était que pour elle
nouveauté était synonyme de valeur. C’est là signe certain de barbarie
: dans toute société, ce sont toujours les éléments d’intelligence
inférieure qui sont affamés d’être à la page. Incapables de discerner
par le goût, la culture et l’esprit critique, ils jugent le problème
automatiquement d’après ce principe, que la vérité est la nouveauté.


Plume231
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le 7 janv. 2017

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